Mc Carthy pas mort ![Ayadh Singh – IES News Service – 16/10/2007 – Trad. Grégoire Seither]

L’affaire Dimmock en Grande-Bretagne est survenue au moment où l’attribution du Prix Nobel à Al Gore et au GIEC a remis la question du réchauffement climatique au centre du débat. Cette affaire curieuse – un juge se prononcant sur la validité d’un documentaire et tranchant dans le débat scientifique – aura permis de montrer à quel point les lobbies industriels et les mouvements ultra-libéraux manipulent l’opinion en fabriquant des faux experts, des faux mouvements d’opinion et des fausses institutions scientifiques pour soutenir leurs thèses.

Il ne faut pas creuser très profond sous le cas Stewart Dimmock pour voir apparaître le lobby industriel.  Malheureusement, la majorité des journalistes n’aime pas creuser… ou alors a peur de perdre les susucres que le lobby distribue à ceux qui font le beau.

Le 10 octobre dernier, le journal télévisé de la BBC rendait compte du jugement d’un juge de la Haute Cour britannique qui avait trouvé « neuf erreurs » dans le film d’Al Gore sur le changement climatique – film quoi doit être diffusée dans les écoles dans le cadre d’une mallette pédagogique sur le changement climatique. Afin « d’équilibrer » les thèses présentées par M. Gore, le gouvernement devra donc ajouter des « notes pédagogiques » à la mallette.

L’affaire avait été portée devant les tribunaux par Stewart Dimmock, chauffeur routier de métier et directeur du conseil d’administration de l’école où vont ses enfants. M. Dimmock accusait le film de « faire du lavage de cerveau » aux enfants. Le même soir, le programme radio de la BBC ‘The World Tonight’ interviouvait Stuard Dimmock. Voici quelques extraits  fort intéressants :

Stewart Dimmock (SD): C’est un pamphlet politique, ce n’est pas un documentaire scientifique.

Le journaliste de la BBC, Robin Lustig (RL): Mais vous n’êtes pas vous-même un scientifique, n’est-ce pas ?

SD: Non.

RL: Certaines personnes se demandent pourquoi vous avez investi autant d’énergie à lutter contre ce film, allant jusqu’à à la Haute Cour. Est-ce que vous avez un objectif caché derrière tout cela ?

SD: J’ai deux jeunes enfants. Je pense que ce n’est pas bien de faire entrer la politique dans les salles de classe.

RL: Puis-je vous poser une autre question, M. Dimmock? Présenter une affaire devant la Haute Cour n’est pas donné. [200 000 livres britanniques pour cette affaire].

SD: Non, en effet, ce n’est pas donné.

RL: Avez vous reçu une aide financière pour mener ce combat ?

SD: Le gouvernement a été condamné aux dépens. Environ 60 000 livres.

RL: Mais vous ne saviez pas, jusqu’à ce matin, que ce serait lui qui allait devoir payer, n’est-ce pas ?

SD: Non, je ne le savais pas.

RL: Mais alors, qui a porté le risque ?

SD: [Longue pause de 5 secondes]. Mmmm, On m’a assuré des soutiens.

RL: Puis-je vous demander qui sont ces « on » ?

SD: Vous pouvez le demander mais je suis désolé, je ne peux vous répondre car je n’ai pas sur moi les noms des personnes qui m’ont apporté leur soutien financier. Je les ai reçus via un site Web.

(BBC R4 ‘The World Tonight’, October 10, 2007 : http://www.fileden.com/files/2006/9/11/214131/BBC%20Radio4%20-%20An%20Inconvenient%20Truth.mp3)

Qui a donné l’argent ? Quel site Web ? Le journaliste de la BBC a eu le tact de ne pas pousser plus loin ses questions.

Dimmock affirme ne pas se souvenir des noms de ses soutiens financiers, par contre son parti, le New Party, indique sur son site Web, dans un communiqué du 27 septembre :

“The New Party apporte son soutien à la campagne judiciaire menée par l’un de ses membres contre une décision du gouvernement de projeter le film d’Al Gore dans les 3 850 collèges du royaume.” (http://www.newparty.co.uk/news/september2007/high-court-to-judge-al-gore-film.html)

D’ailleurs, Matthew Harrabin, le journaliste de la BBC en charge des questions d’environnement précise le lendemain:

“Accessoirement, M. Dimmock est membre du ‘New Party’, un mouvement apparemment financé par un businessman qui partage sa détestation entre les écologistes et les lois contre l’alcool au volant ».

Et ensuite ? M. Harrabin ne nous en dira pas plus. Après tout, c’est « accessoire » n’est-ce pas ?

Heureusement, certains journalistes ont poussé l’enquête un peu plus loin.

Andy Rowell, auteur de l’ouvrage ‘Green Backlash’ et co-directeur du site SpinWatch.org, a démontré, le lendemain du Prix Nobel, comment les grands groupes industriels et miniers se cachent derrière des fausses ONG et organisations scientifiques pour démolir le film d’Al Gore – et par conséquence attaquer la théorie du réchauffement climatique. (‘Revealed: The hidden agenda behind Gore film attack,’ October 11, 2007; http://priceofoil.org/2007/10/11/revealed-the-hidden-agenda-behind-al-gore-film-attack/)

Il faut dire que l’attribution du Prix Nobel à Al Gore et au GIEC a fait apparaître dans les médias tout le ban et l’arrière-ban des « sceptiques du climat », ce qui a facilité l’identification des alliances.

Ainsi Martin Livermore, directeur d’une organisation appellée « The Scientific Alliance », qui fut invité pas moins de six fois, sur quatre chaines de télévision et de radio britanniques cette semaine là. Alors que les médias nous présentent la « Scientific Alliance » comme un groupement de scientifiques dont le but est de « améliorer la qualité des débats scientifiques dans le public« , il s’agit en fait d’une des nombreuses organisations créés par le richissime industriel d’extrème droite et ultra-libéral Robert Durward.

En ce qui concerne « l’amélioration de la qualité du débat scientifique« , Martin Livermore s’est illustré en étant le “consultant scientifique” du faux documentaire de Martin Durkin ‘The Great Global Warming Swindle’’ (Le grand mensonge du réchauffement climatique), diffusé sur Channel 4 l’an dernier et qui a été amplement démonté comme étant un pamphlet mensonger et manipulateur, basé sur des informations tronquées ou erronées. (George Marshall, ‘The Great Channel 4 Swindle,’ March 9, 2007; http://climatedenial.org/2007/03/09/the-great-channel-four-swindle)

Le journaliste spécialisé des questions climatiques George Monbiot a démoli point par point les arguments du faux documentaire de Durkin, qui n’en est pas à son premier reportage bidonné pour faire de l’audience. Il avait déjà été condamné par la Independent Television Commission pour un reportage bidouillé qui faisait passer les écologistes pour des nazis. (George Monbiot : Modified Truth : http://www.monbiot.com/archives/2000/03/16/modified-truth/)

Mais Robert Durward est également le principal financeur et membre du « National Policy Committee » du « New Party » qui « définit les orientations politiques de notre mouvement« . Il est secondé par Mark Adams, directeur de la société de relations publiques Foresight Communications, qui travailla pendant quatre ans pour le premier ministre conservateur britannique – avant de rempiler pendant six mois chez Tony Blair, en 1997. En 2001, Adams et Durward ont fondé la Scientific Alliance.

En résumé, la lutte « solitaire » du « petit contribuable » Dimmock contre la « propagande écologiste » est en fait une opération planifiée et financée par son parti, avec des soutiens financiers considérables de la part de l’establishment industriel, médiatique et financier.

Parmi les autres « donateurs anonymes » dont Stewart Dimmock feint de ne pas souvenir il y a le financier Lord Monckton, auteur du manifeste politique du « New Party ». L’an dernier Monckton avait publié une série d’articles dans la presse de droite, expliquant que le GIEC avait faux sur toute la ligne en ce qui concerne le réchauffement climatique :

“Cette semaine je vous démontrerais comment l’ONU a totalement sous-évalué les effets du soleil sur le climat tant par le passé que contemporain, s’est trompé dans son évaluation des effets de l’effet de serre naturel, a exagéré les chiffres de réchauffement climatique au cours du siècle dernier, ignoré une loi fondamentale de la physique et triplé les chiffres de l’effet de serre causé par l’homme.” (Christopher Monckton, ‘Don’t believe it!’ Sunday Telegraph, November 5, 2006)

Les arguments de Monckton ont tous été démolis par les scientifiques et climatologues – certains étaient déjà discrédités avant même leur reprise par Monckton. Comme le dit Monbiot : « Monckton s’attaque à un panel d’experts et de sommités, armé de son seul bon sens et d’une licence de sciences humaines à Cambridge. Pourquoi pas ? C’est son droit. »

Monckton a annoncé récemment vouloir faire projeter le faux documentaire, ‘The Great Global Warming Swindle’, aux 3,400 collèges du Royaume-Uni afin de “contrer la propagande mensongère d’Al Gore” – et ce malgré le fait que ce documentaire est unanimement considéré comme etant lui-même mensonger.

Monckton a d’ailleurs fait réaliser un autre film, « Apocalypse No! » qui tente de démonter les arguments du film d’Al Gore. Ce document, dont Monckton reconnait lui-même qu’il est « controversé » et constitue un « manifeste politique » devrait également être projeté dans les écoles britanniques.

Cette initiative est singulière quand on pense que Monckton a financé la plainte devant la Haute Cour de Stewart Dimmock parce que ce dernier estime que « ce n’est pas bien d’apporter la politique dans les salles de classe« .

Avec l’aide de Monckton, Stewart Dimmock a par ailleurs crée un site Web pour défendre sa cause. Il affirme poursuivre trois objectifs :

1. – Etre vigilant, documenter et dénoncer les tentatives d’introduire des enseignements politiquement orientés dans nos écoles.
2. – Soutenir les initiatives pour empêcher la politique partisane d’entrer dans nos écoles.
3. – Promouvoir un enseignement honnête et objectif (fair and balanced).” (http://www.straightteaching.com/index.php?option=com_content&task=view&id=6&Itemid=27)

Il s’avère que le site de Dimmock est financé et hébergé par un think-tank d’extrème droite aux Etats-Unis, le « Science and Public Policy Institute (SPPI) » Le but du SPPI est de « promouvoir des politiques gouvernementales raisonnables en matière d’environnement, s’appuyant sur des arguments scientifiques rationnels et des solutions économiques qui ont fait leurs preuves ».

Sur le site Web du SPPI, on trouve ainsi des articles comme « Réchauffement climatique ? Quel réchauffement climatique ? » ( http://scienceandpublicpolicy.org/monckton_papers/greenhouse_warming_what_greenhouse_warming_.html) écrits par le Principal Conseiller du SPPI, un certain Christopher Monckton – (http://scienceandpublicpolicy.org/personnel.html). Le monde est petit.

Dans un de ses articles du « Telegraph », Monckton se défend d’être biaisé dans son analyse :

“La Royal Society affirme qu’il y a un consensus universel dans le camp scientifique. Elle accuse ceux qui mettent en doute ses visions apocalyptiques d’être des valets payés par les grands groupes pétroliers et miniers. Je vais donc vous avouer que en effet, il m’est arrivé d’être payé avec l’argent du contribuable, j’ai été conseiller de Margaret Thatcher, pour les questions relatives aux fausses alertes scientifiques et aux manipulations destinées à faire peur au public. Par contre je n’ai jamais touché un centime de Exxon.”

Malheureusement cette dernière affirmation ne s’applique pas à Craig Idso, directeur du conseil d’administration et Principal Conseiller scientifique de la SPPI.

Greenpeace a documenté, sur son site Exxonsecrets.org les liens de Idso avec les grands groupes pétroliers et comment l’entreprise finance de nombreuses « fondations scientifiques » pour faire croire qu’il y a des avis divergents sur la question (http://exxonsecrets.org/html/personfactsheet.php?id=15)

Pourquoi toutes ces organisations proches des lobbies industriels consacrent-elles autant d’efforts à créer des rideaux de fumée autour de la question du changement climatique ? Parce qu’elles craignent que les initiatives écologiques leur coûtent de l’argent et réduisent leur marge bénéficiaire. Il est donc important de peser sur l’électorat en faisant croire que les thèses écologistes sont « le hoax du XXIè Siècle ».

Phil Lesley, conseiller en relations publiques pour les entreprises crache le morceau dans son ouvrage « Gérer les groupes d’opposants » :

“Généralement, si l’opinion publique estime que la situation n’est pas alarmante et que cette analyse est le fruit d’une présentation équilibrée des arguments des deux camps, et que ces arguments font apparaître qu’il y a un doute… alors les gens ne se sentiront pas poussés à agir.

Les discours écologistes doivent être contrebalancés, ainsi les gens ne sauront plus qui croire et seront démotivés d’agir contre vous.

Mais il faut que le contrepoids vienne de sources que le public estime crédible et qui donnent l’impression d’être variées et non-connectées les unes aux autres.

Il ne faut pas viser la « victoire » sur l’opinion adverse. Il suffit d’instiller le doute pour enlever le vent des voiles d’une grande partie des opposants. Et pour instiller le doute, il faut faire apparaître des experts apparaissant comme légitimes pour contredire les thèses de vos opposants ” (Lesly, ‘Coping with Opposition Groups,’ Public Relations Review 18, 1992, p.331)

Derrière la prétendue « objectivité » et « rationalité » des combats comme ceux de Stewart Dimmock il y a une seule chose : la peur des grandes multinationales et des lobbies productivistes de ne pas pouvoir continuer à se remplir les poches. Penser au lendemain ? Le capitalisme prédateur n’a JAMAIS pensé au lendemain. Tout ce qui l’intéresse c’est le profit immédiat. Au diable les conséquences futures.

En France, quand la commission Attali préconise la disparition du « principe de précaution », elle poursuit exactement le même objectif.