[Greg Palast – 28/02/2008 – Traduction : Grégoire Seither]

Dix neuf ans, dix neuf putain d’années, ça commence à bien faire… Je suis navré si mes paroles vous choquent, mais quand je pense à ce qu’ils ont fait à Paul Kompkoff, je n’ai plus envie de rester poli.Chugach Native 'Bear' of New Chenega, Alaska

Le mois prochain, cela fera 19 ans que le Exxon Valdez a déversé son chargement de pétrole brut dans les eaux du Prince William Sound en Alaska. Une gigantesque partie de ce pétrole est venu polluer les eaux et les territoires de pèche de la nation Chénega. Paul Kompkoff chassait les phoques à la manière traditionnelle et nourissait son village avec son activité. Jusqu’à ce que Exxon tue les phoques et empoisonne la chaîne alimentaire de la nation Chénega.

A l’époque, devant les caméras de télévision, les avocats et les communicants de la société répétaient à qui voulait l’entendre que tout cela était un « terrible accident » et que, bien sûr, la compagnie pétrolière paierait le nettoyage et verserait des dédommagements à tous ceux que la marée noire avait lésé.

Aujourd’hui, devant la Cour Suprème des Etats-unis, la grande compagnie pétrolière – par la bouche de l’armée d’avocats qu’elle a embauché – revient sur sa parole et affirme qu’elle n’est pas obligée de payer le moindre dédomagement à Paul et aux autres pécheurs, malgré un jugement rendu par le tribunal qui les oblige à le faire.

De toute façon, ils ne pourront pas dédommager Paul. Il est mort entretemps.

Cela faisait partie du plan d’Exxon, d’ailleurs.

Ils me l’ont dit texto, en 1990 et 1991, quand je travaillais comme expert conseil pour les nations Chenega et Chugach de l’Alaska. Les conseils des villages cherchaient un moyen d’obliger Exxon à payer des dédomagements afin d’empécher la mort économique des villages isolés, totalement privés de revenus et de subsistance par la pollution causée par la marée noire.

A l’époque Exxon avait tenté de nous dissuader en disant, “De toute façon, nous pouvons faire trainer l’affaire tellement longtemps dans les tribunaux, jusqu’à ce que vous soyez tous morts, vous et vos villages.”

Ils sont sympas ces mecs, non ? Mais après tout, ils auraient tort de se gêner.

Mais Exxon n’était pas tout seul dans cette infamie. Ils avaient des amis haut-placés pour les soutenir. L’un de ces soutiens était un ancien directeur de compagnie d’exploitation pétrolière (qui n’avait jamais réussi à trouver quoi que ce soit) et que tout le monde appelait « Deubeliou ». Vous le connaissez ?

Exxon est le deuxième plus gros donateur politique de la carrière de George W. Bush, juste après Enron. Ils formaient une équipe, Exxon et Enron.

Pour couvrir leurs arrières et leurs coffre-forts, le PDG d’Enron Ken Lay (à l’époque il n’était pas encore en prison) avait mis sur pied et financé un groupe de lobbying soi-disant « populaire » et portant le nom de « Texans for Law Suit Reform » (Texans pour une réforme de la législation sur les dommages et intérêts). Le but de ce groupe de pression était de changer la loi afin que les consommateurs lésés, les actionnaires escroqués et les indigènes dévastés ne puissent plus se retourner contre les grands groupes malhonnètes qui les avaient mis dans la m… et trainer leurs PDG devant les tribunaux .

Quand leur copain « Deubeliou » a eu son job à Washington, Enron et Exxon ont fait pression pour que leur vieil ami John Roberts soit nommé à la Cour Suprème. C’était un choix judicieux…

En effet, mercredi dernier, alors que la Cour entendait la dernière obstruction en date présentée par les avocats d’Exxon, le juge Roberts a ouvertement défendu le comportement d’Exxon en Alaska en disant « Que voulez vous qu’une grande entreprise comme Exxon fasse de plus ? »

Si vous permettez, votre Honneur, la réponse à cette question est : plein de choses.

Pour commencer, Monsieur le juge, Exxon pourrait avoir allumé son radar. Pardon ? Oui, la nuit ou le tanker Exxon Valdez est venu s’encastrer sur les rochers du récif Bligh Reef, son système de radar Raycas ne fonctionnait pas. Les décideurs de chez Exxon avaient décidé que sa maintenance était trop chère et que cela aurait pris trop de temps de former les navigateurs à son maniement.

Quand on embauche des marins presque illétrés du Tiers Monde, on va pas en plus perdre du temps à les former à la navigation… Cette nuit là, donc, c’était un troisième lieutenant quasiment inexpérimenté qui était à la barre et il pilotait le super-pétrolier à vue comme à l’époque de Christophe Colomb. Je ne rigole pas.

Il y a une autre choses que cette pauvres grande compagnie diabolisée pourrait faire, votre honneur : elle pourrait arrêter de mentir.

Cette nuit là, le 24 mars 1989, l’Exxon Valdez n’avait même pas le droit de quitter le port. Voici pourquoi. La réglementation veut que les pétroliers ne peuvent quitter le quai que si une barge anti-marée noire opère à proximité.

Cette nuit là, la barge anti marée-noire d’Exxon était en cale sèche, pour son inspection annuelle. Exxon a toujours veillé à ce que cette information ne soit pas connue, continuant à mentir même après la catastrophe. Un agent Exxon a même envoyé un faux message aux équipes de secours : « La Barge est en route ». C’était un mensonge, la barge n’est jamais sortie de sa cale sèche.

Si la barge avait été opérationnelle, elle aurait entouré le bateau éventré de jupes flottantes – et le village de Paul ainsi que les côtes de l’Alaska auraient été sauvées. Mais Exxon n’avait pas envie d’attendre qu’on remettre cette barge à flot, il lui fallait son pétrole maintenant, au diable la sécurité, au diable les règlements, au diable les vies d’une poignée d’indigènes et de leur écosystème.

Paul n’est plus là. Il a été enterré en même temps que les promesses d’Exxon. Mais la marée noire est toujours là. Allez faire un tour dans les territoires Chenega aujourd’hui, presque vingt ans plus tard. Allez sur la plage de Sleepy Bay, retournez les galets et reniflez.. on se croirait dans une station service. Quand aux poissons… cela fait longtemps qu’il n’y en a plus un seul.

Bon, me direz vous, mais qu’est ce que tout ceci a à voir avec John McCain ?

Pour moi, le Sénateur est une ‘Tort Tart’, une prostituée qui s’est vendue aux lobbies industriels au point d’en trahir les propres lois qu’il a fait voter. En effet, la « réforme de la législation sur les dommages et intérêts » que réclammait le groupe mercenaire de Ken Lay n’était rien d’autre qu’un masque « militant » derrière lequel se cachait une coalition de lobbyistes industriels et leur avocats et dont l’unique but est de vous empécher d’aller réclammer votre droit devant un tribunal.

Leur cri de guerre est « il faut réformer la loi sur les torts ». Mais en fait ce qu’ils veulent, c’est vous enlever le droit, chèrement acquis il y a 250 ans, d’aller devant un tribunal et d’y faire condamner les salopards qui vous vendent une porte de garage automatique tellement mal concue qu’elle a broyé le crâne de votre enfant, qui vous installent un pacemaker défectueux qui fait exploser votre coeur, qui font des spéculations hasardeuses qui vident votre fonds de pension et vous laissent sur la paille… ou encore qui empoisonnent votre environnement et votre source d’alimentation avec leurs marées noires.

La « Tort Reform » révée par les lobbyistes mettrait fin à tout cela. Finis les procès, finis les « class action », finis les millions de dollars de dommages et intérêts à payer aux victimes… le bonheur pour les actionnaires, quoi.

Tous les candidats Démocrates ont bien vu l’arnaque qui se cachait derrière cette « réforme » – mais aussi un Sénateur du nom de John McCain, qui, en 2001 par exemple, a été une des forces motrices de la loi « Patients Bill of Rights » qui permet aux victimes d’erreurs médicales d’obtenir des compensations sans devoir batailler pendant des années et engraisser des avocats vautours.

Mais soudain il est arrivé quelque chose au Sénateur McCain. Notre chevalier blanc qui défendait le droit des Américains à se faire dédommager a décidé de se présenter à l’investiture Républicaine. Mais pour faire une campagne et espérer la gagner, en Amérique, il faut beacoup d’argent. Et cet argent, on le trouve chez les lobbyistes de l’industrie. Or les lobbyistes n’aimaient pas McCain à l’époque. Dans leur communiqués ils le dénoncaient comme un « moralisateur qui fait cavalier seul »…

Le Sénateur a donc fait une série de Grands Volte-Face. A plusieurs reprises, depuis un an, il s’est allongé devant les assemblées de lobbyistes et a demandé pardon, rejettant loin de lui les hérésies qu’il avait proférées à propos de…. quasiment tout ce qu’il défendait auparavant.

En 2001, il avait vivement critiqué les baisses d’impôts décidées par Bush, en disant, « Ma conscience m’interdit d’approuver des baisses d’impôts dont la plus grande partie des bénéfices ira aux plus fortunés d’entre nous, au détriment des Américains de classe-moyenne ».

Sept ans plus tard, notre Sénateur devenu candidat nous jure, en toute bonne conscience, que s’il est élu, il ne reviendra pas sur ces baisses d’impôts et qu’il ira même encore plus loin dans les cadeaux faits aux « plus fortunés d’entre nous ».

Sur la question de la “Tort Reform,” le volte-face de McCain fut ahurissant. En 2005, il a voté CONTRE sa propre loi de 2001, le Patients Bill of Rights, en approuvant des amendements qui l’ont vidé de son contenu.

Ensuite il a signé une proposition de loi qui aurait permis d’interdire aux acteurs économiques de l’Alaska, comme par exemple notre chasseur Kompkoff, de porter plainte contre Exxon devant un tribunal fédéral.

En 2003, McCain avait voté contre le « Plan Energie » de George Bush, un document entièrement écrit par les lobbyistes pétroliers et qui faisait bander tous les grands groupes énergétiques. Cette semaine le rapport annuel de Exxon nous annonce que, pour l’année 2007, ils ont fait un chiffre d’affaires de 40,6 millliards de dollars, le meilleur résultat dans l’histoire industrielle de l’humanité,

Les sénateurs Clinton, Obama et plusieurs autres, des deux côtés politiques, ont proposé une loi qui obligerait les grandes compagnies pétrolières à consacrer une toute petite partie de leurs super-profits au développement de sources alternatives d’énergie.

Techniquement cela signifierait surtout que le gouvernement annule un « cadeau fiscal » d’une valeur de 14 milliards de dollars, cadeau que l’Administration Bush avait accordé aux entreprises pétrolières en 2004.

A l’heure où les entreprises pétrolières engrangent des bénéfices monstrueux et que partout ailleurs les budgets publics sont en régression, une pareille prébende fiscale ne se justifice en rien. Mais McCain n’est pas de cet avis.

Alors qu’en 2003, le Sénateur avait refusé de soutenir Bush et ses petits cadeaux à ses copains pétroliers, aujourd’hui le candidat refuse de voter l’annulation du cadeau fiscal fait aux mêmes pétroliers.

Dans la lutte contre les excès de « Big Oil », le soldat McCain est coupable d’un abandon de poste devant l’ennemi. Il a déposé les armes avant même que les hostilités commencent.

Enfin, au moins Paul n’a pas été obligé de voir cela.

Je me souviens, quand je menais mon enquête en Alaska, des pêcheurs mis en faillite par la marée noire – qui s’étaient joints à l’action en justice menée par Kompkoff devant la Cour Suprème – avaient bloqué une dernière fois le chenal où passent les tankers (leurs bateaux de pèche allaient bientôt être saisis par les faillitaires). Sur leurs bateaux ils avaient déployé des banderoles « EXXON SUXX.” (Exxon nous baise).

Aujourd’hui ils pourraient ajouter sur leurs banderoles, en mémoire d’un Sénateur qui avait jadis fait le serment de défendre leurs intérêts : “McCain duxx.” (McCain se couche).

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Ancien enquêteur financier pour le FBI, Greg Palast est un des meilleurs journalistes d’investigation aux Etats-unis. Ses livres « Armed Madhouse » ainsi que « The Best Democracy Money Can Buy » figurent dans la liste des « best-sellers » compilée par le New York Times.

Des extraits de « Armed Madhouse » ont été traduits par Grégoire Seither et sont disponibles sur Internet.

http://www.gregpalast.com/exxon-suxx-mccain-duxx/