(Commentaire de Maria : Peu de gens connaissent l’histoire de la « Cristiada », une conséquence directe des politiques violemment anticléricales (également tombées dans l’oubli) d’une partie des gouvernements en Europe et en Amérique. En France, la « guerre religieuse » entre « curetons » et « laïcards » n’est qu’un des nombreux aspects… en Allemagne, Bismarck dissout et interdit les congrégations religieuses, au Mexique, le gouverment interdit carrément la religion… un peu plus tard, en Russie, les bolchevicks font la guerre aux croyants… encore plus tard, lors de la guerre civile espagnole, la religion sera également au coeur des combats…
L’histoire des « Cristeros » est intéressante car elle va alimenter l’imaginaire paranoiaque de plusieurs générations catholiques du XXè Siècle et être l’un des puissants moteurs de leur basculement dans le fascisme. Les personnes élevées dans l’atmosphère réactionnaire et anti-républicaine de l’église catholique de l’époque seront abreuvés en permanence des histoires sanglantes d’horreurs commises par les « rouges » et les « franc-maçons » et le courage des « martyrs de la foi » ou encore des « guerriers de Dieu » qui assassinent les impies en criant « Viva el Cristo Rey ». Léon Degrelle, le fasciste belge (et meilleur ami de Hergé, inspirateur du personnage de Tintin) raconte ainsi à quel point cette « martyriologie moderne » aura été l’inspiration de son « combat antibolchevique ». Idem pour Pétain (ainsi que Charles De Gaulle). Après la guerre, dans le Franquisme mais aussi chez les généraux putchistes (tous catholiques) en Amérique du Sud, on retrouve cette martyriologie obsessionelle – l’idée que si on ne frappe pas le premier, les « rouges » vont revenir massacrer les croyants.
Pinochet raconte dans ses mémoires que, quelques semaines avant le coup d’état, alors qu’il hésite encore, sa femme lui montre leurs enfants et lui dit « Si tu ne fais rien, ils finiront emprisonnés, sous la botte des rouges, massacrés comme les Cristeros, c’est cela que tu veux ? »…
Encore aujourd’hui, l’obsession anti-franc-maçonne de gens comme Emmanuel Ratier ou bien la résurgence du conspirationisme « illuminati » chez les militants anti-mariage pour tous est un écho de cette histoire vieille de cent ans…
La Vendée Mexicaine
[Herodote – André Larané – 14/05/2014]
Président de la République de 1924 à 1928, le général Plutarco Calles entreprend de consolider les acquis de la révolution de 1910, illustrée par les exploits de Zapata et Pancho Villa. C’est ainsi qu’il réorganise l’instruction publique et étend la réforme agraire, distribuant plus de trois millions d’hectares aux petits paysans des coopératives (les ejidatarios). Il confirme aussi la nationalisation de l’industrie du pétrole au grand dam des États-Unis…
Mais fidèle à une tradition anticléricale vieille de près d’un siècle, le président a aussi la mauvaise idée de s’en prendre à l’Église catholique.
Le 1er décembre 1924, il prive de droits civiques les catholiques (laïcs et prêtres) sous prétexte qu’ils obéissent à un souverain étranger, le pape ! Il expulse le nonce, l’ambassadeur du Vatican, ainsi que tous les ecclésiastiques étrangers. Il interdit aux prêtres toute critique du gouvernement en vertu de l’article 130 de la Constitution de 1917, jusque-là resté inappliqué. Il interdit les congrégations enseignantes et ferme pas moins de 20.000 églises !

Exéution en 1927, au Jalisco, du père Francisco Vera, coupable d’avoir célébré la messe
L’épiscopat se rebiffe et suspend le 31 juillet 1926 l’administration des sacrements dans tout le pays pour une durée de trois ans. Cette riposte ahurissante de la part d’un haut clergé essentiellement criollo (d’origine européenne) livre au désespoir les masses rurales, majoritairement indiennes ou métisses, attachées à une religiosité traditionnelle.
Les paysans se soulèvent sans attendre contre les autorités de la capitale, dans un parallèle frappant avec le soulèvement des Vendéens en 1793, en lutte contre les révolutionnaires parisiens. Leur cri de ralliement : « ¡ Viva Cristo Rey ! ¡ Viva la Virgen de Guadalupe ! » (Vive le Christ-Roi ! Vive la Vierge de Guadalupe) fait référence à la Vierge apparue à un Indien en 1531 et à la proclamation par le pape Pie XI, le 11 décembre 1925, du Christ « Roi des nations ».
Ces insurgés sont par dérision surnommés « Cristeros ». Eux-mêmes qualifient plus volontiers leur soulèvement de « Cristiada » (Christiade) mais ils sont désavoués par l’épiscopat, à deux ou trois exceptions près. Il n’empêche qu’avec 50.000 combattants, ils vont constituer la plus importante rébellion qu’ait connue le pays, lequel compte à cette époque moins de vingt millions d’habitants disséminés sur deux millions de km2.
Ils recrutent contre rémunération le général Enrique Gorostieta (38 ans), lequel est, d’après l’historien Jean Meyer, catholique, bon mari et bon père, contrairement à une légende qui en fait un franc-maçon laïc. Il va discipliner ses troupes et les conduire de victoire en victoire malgré le manque de moyens. Le soulèvement a débuté dans l’État du Jalisco, au bord de l’océan Pacifique (capitale : Guadalajara). Trois ans plus tard, l’armée des Cristeros tient plus des trois quarts de l’ouest du Mexique et la moitié des 30 États de la fédération.
Tous les habitants des campagnes concernées se montrent solidaires et les femmes ne sont pas les moins actives. Comme dans toute résistance populaire, elles servent au renseignement, à l’approvisionnement des combattants et au transport des munitions. Des brigades féminines, les Brigadas Bonitas ou Jolies brigades, combattent même sous le patronage de Jeanne d’Arc.
Cette guerre occasionne un total d’environ 90.000 tués selon l’historien Jean Meyer, dont les deux tiers dans les troupes gouvernementales, lesquelles sont en infériorité tactique face à la guérilla, malgré leur recours systématique à la terreur. (suite…)