[Sébastien Fontenelle -13 septembre 2007]

Dans « La Poudrière du Moyen-Orient » (éditions Fayard, 391 pages, 23 euros), Noam Chomsky et Gilbert Achcar débattent.

En voici un minuscule extrait – celui où le gars qui les a réunis leur demande : « Quelles sont l’importance et l’étendue du racisme antiarabe » ?

Chomsky répond : « Aux Etats-Unis, c’est vraiment la dernière forme légitime de racisme. Il n’est pas nécessaire de tenter de le cacher. Si l’on est raciste envers d’autres entités sociales, il faut faire semblant de ne pas l’être. Mais, dans le cas du racisme antiarabe, point n’est nécessaire de faire semblant. (…) »

Achcar précise : « Le racisme antiarabe est probablement la forme la plus aigüe de quelque chose d’encore plus général, l’islamophobie ».

Chomsky : « Personne ne fait cette distinction – les Arabes, les Iraniens, l’islam, tout cela, c’est la même chose ».

Achcar : « Exactement. Essaie de te mettre dans la peau d’un musulman et observe les médias. C’est consternant. On a l’impression d’être constamment assailli. Je ne parle pas d’actes concrets d’agression, de discrimination et tout le reste. Je ne parle que des médias. (…) C’est absolument horrible de voir la profusion d’absurdités anti-islamiques et de catégorisations racistes qui sont proférées par des gens qui sont, la plupart du temps, totalement ignorants. (…) En Europe, en tout cas, l’islamophobie est un phénomène de grande ampleur et très inquiétant. (…) »

Achcar encore : « (…) On pourrait fournir d’innombrables exemples qui illustrent (…) le fait que l’islam et les musulmans sont devenus les cibles les plus « naturelles » du racisme diffus qui existe réellement dans les pays occidentaux.

La vision dite culturaliste de la montée de l’intégrisme islamique, qui attribue celle-ci à certaines caractéristiques intrinsèques traduisant l’essence même de la religion islamique, est très répandue (…).

Bien des personnes en Occident ne comprennent pas qu’il n’y a rien de « naturel » ou d’atemporel dans le fait que l’intégrisme islamique est aujourd’hui le courant politique le plus visible chez les peuples musulmans. Elles ignorent ou oublient que la situation était tout à fait différente à d’autres périodes de notre histoire contemporaine – il y a quelques décennies, par exemple, le parti le plus grand parmi les partis communistes qui n’étaient pas au pouvoir dans le monde, un parti qui s’appuyait officiellement, donc, sur une doctrine athée, se trouvait dans le pays comptant la plus grande population musulmane : l’Indonésie, jusqu’à ce que ce parti soit écrasé à partir de 1965 dans un bain de sang à l’initiative des militaires indonésiens soutenus par les Etats-Unis, bien sûr. (…)

Et, cela va sans dire, ces personnes négligent le fait que même aujourd’hui l’écrasante majorité des croyants musulmans n’ont rien de commun avec l’intégrisme religieux qui, depuis quelques décennies, progresse dans la plupart des grandes religions.

Et pourtant, elles considèrent que le seul bon musulman est un non-musulman – c’est à dire un non-croyant – qui mange du porc et boit de l’alcool〔¹〕. (…)

L’islamophobie est fondée sur la peur, comme l’indique l’étymologie du mot. Elle croît dans un contexte spécifique et complexe : les nombreuses angoisses engendrées par la déréglementation sociale et économique néolibérale. Ces angoisses se traduisent par la recherche de boucs émissaires, selon un phénomène psychologique bien connu, et sont aggravées par la crainte inspirée dans l’opinion publique occidentale par des gouvernements qui se refusent à donner la vraie réponse à la question courante : « Pourquoi « ils » nous haïssent ? » »