Palast est excellent, comme toujours ! Un vrai limier… si j’avais le temps, je traduirais l’intégralité de ses textes. C’est fouillé, recherché, drôle, agréable à lire….

[Greg Palast – 16/11/2007 – Trad. Gregor Seither]

Il était « l’autre homme » dans la vie de Hillary. Mais tout ça c’est fini maintenant, n’est ce pas ? Non ?

Vous avez tous vu ces photos étranges de George Bush faisant ami-ami avec le dictateur du Pakistan, Pervez Musharraf, on les voit ricaner et glousser comme deux collègiens en route vers le bal du samedi soir… mais pas grand monde se souvient que c’est Hillary et Bill Clinton qui ont invité Pervez à venir guincher.

Avant de vous expliquer comment les Clinton ont mis Musharraf au pouvoir pour rendre service à une entreprise amie à Little Rock, laissez moi juste faire une brève mise au point sur notre copain à moustache de Karachi.

Si on en croit George Bush, le New York Times, NPR et les restes des petits roquets de la presse, Musharraf est « notre allié dans la guerre contre le terrorisme ». Ouais, c’est ça ! Un peu comme si, dans les années 1930, on avait dit que Al Capone était , « notre allié dans la guerre contre le crime organisé ».

Musharraf c’est le mec qui a filé un sérieux coup de main aux Talibans pour qu’ils prennent le pouvoir en Afghanistan en 1996. Et il continue à ce jour – à travers sa police secrète, ISI – de fournir logistique et protection aux talibans. Musharraf c’est également le mec qui a laissé Khalid Sheik Muhammed, le planificateur en chef des opérations du 11 septembre 2001, établir son QG à Quetta au Pakistan, où ce dernier a vécu tranquillement et publiquement pendant des années avant qu’il ne commette un faux pas et embarasse son mentor en donnant un interview grande-gueule à Al-Jazeera depuis sa résidence pakistanaise. Pas malin ça, Musharraf n’a pas eu d’autre choix que de le livrer aux américains…

C’est le même Musharraf qui a permis à son docteur Frankenstein local, A.Q. Khan, de vendre des kits « fabriquez votre bombe atomique vous même » à la Lybie et à la Corée du Nord. Quand la presse a révélé les activités de camelot nucléaire du Docteur Khan, Musharraf (et Bush) ont déclaré qu’ils étaient choqués – choqués ! Musharraf n’était pas au courant ? Mais bien sûr ! Toutes ces tonnes de matériel et de technologie atomique ont du quitter le pays sur le dos de chameaux volants.

Mais rendons à César ce qui est à César : contrairement à Saddam et Osama, créatures fabriquées dans les laboratoires secrets de Ronald Reagan et de George Bush Sr, Pervez Musharraf, lui, est une pure création des Clinton.

Tout a commencé avec une facture d’électricité impayée. En 1998, le Pakistan a refusé de payer plusieurs millions de dollars – sur les milliards qu’il devait – à plusieurs entreprises de fourniture d’électricité U.S. et britanniques. Et ils avaient une bonne raison de refuser : les contrats passés avec ces sociétés prévoyaient des tarifs démesurés qui auraient obligé les entreprises d’électricité locale à augmenter leurs tarifs de plus de 600%. Tout cela avait une bonne petite odeur de dessous de table et pratiques anti-concurrentielles… et peu de temps après le gouvernement du Pakistan déposait plainte contre plusieurs cadres hauts placés des entreprises d’énergie et annulait tous les contrats. Ca se passe comme ça en droit international : une société ne peut exiger le paiement de contrats obtenus par des méthodes illégales.

Mais dans notre cas il ne s’agissait pas de petites sociétés que l’on pouvait traiter ainsi : l’une d’entre elles était le bébé chéri de Tony Blair, l’anglais National Power. L’autre société s’appelait Entergy International, un nouveau venu dans le marché international de l’énergie où il était devenu, en quelques mois, un des plus gros acteurs. Bizarrement, le siège cette société se trouvait à Little Rock, dans l’Arkansas, capitale de l’Etat dont un certain Bill Clinton avait été gouverneur. Le principal partenaire de la société Entergy est la famille Ryadi, un conglomérat chinois-indonésien richissime qui a été le principal sponsor de la campagne politique de Clinton en Arkansas et à la Maison Blanche depuis plus de 20 ans.

Malgré les engagements pris par l’administration Clinton dans la lutte contre la corruption internationale, on allait faire une exception pour Entergy et NP. Clinton et Blair votèrent pour que le FMI cesse de soutenir financièrement le Pakistan. Le message envoyé à Karachi était simple : paye l’argent que tu dois aux gangsters de l’électricité ou bien crève la gueule ouverte devant les portes closes du FMI.

Pour quelle raison le président Clinton était-il prêt à se facher avec le Pakistan (et faire sombrer le pays dans la faillite) simplement à cause d’une histoire de facture impayée pour une société de Little Rock ? Bon, il y avait le fait que Entergy était une grosse boite qui lui avait fait un chèque pour sa campagne… d’accord. Mais ce n’était pas ça qui comptait.

Ce qui comptait c’était que Entergy et son principal partenaire, la famille Riady, venaient d’embaucher Webster Hubbell pour s’occuper de leurs affaires légales. Un joli petit contrat de 500 000 dollars. Qui est Webster Hubbell ? Simplement l’ancien associé de Hillary Clinton dans le cabinet d’avocat Rose Law.

C’est bizarre que Entergy ait choisi Hubbell… pourquoi payer une somme considérable pour s’adjoindre les services d’un « consultant » qui était en route pour la prison ? Hubbell avait été condamné pour avoir refusé de témoigner contre Mme Rodham, épouse Clinton dans l’affaire Whitewater, un deal immobilier fraduleux sur lequel enquêtait le déjà célèbre procureur spécial Kenneth Starr. En refusant de témoigner, Hubbell bloquait l’accès de Starr à Mme Clinton et à son mari.

Est-ce que Bill Clinton était au courant que Entergy avait fait un gros chèque à Hubbell ? Devant la presse, Clinton avait nié être au courant, mais, interrogé par le FBI et sous serment, Bill avait dit qu’il « ne serait pas surpris » si les Riady lui en avaient touché un mot, lors des nombreuses réunion privées qu’il avait eu avec eux, dans le Bureau Ovale de la Maison Blanche.

Y a t’il une connexion entre les faveurs accordées par Entergy à Hillary et l’incroyable emprise de cette société sur les décisions géostratégiques de la Maison Blanche ? En tout cas ses amitiés particulières avec le président lui permirent d’avoir des informations avant tout le monde sur les nouvelles orientations énergétiques du gouvernement. Et à plusieurs reprises Hillary Clinton décrocha la ligne directe pour appeler son ami Tony Blair et lui demander un petit coup de pouce pour ses amis. Entergy était sur la voie du succès… et ses cadres ne couraient aucun risque de se voir poursuivis au Pakistan pour corruption, malgré la plainte déposée par le gouvernement.

Et Entergy n’a pas du attendre trop longtemps pour se faire payer sa fameuse facture d’électricité. Le 22 décembre 1998, 30 000 militaires pakistanais, emmenés par le Général Pervez Musharraf, ont investi les centrales d’électricité du pays. J’avais interrogé à l’époque l’un des partenaires financiers d’Entergy, il était aux anges : « Beaucoup de choses ont changé depuis que l’Armée a pris les choses en main. Maintenant nous avons une situation où nous sommes certains de toucher notre argent. Ils ont trouvé un moyen pour faire payer l’homme de la rue ». Oui, texto, c’est ce qu’il m’a dit « une méthode pour faire payer l’homme de la rue »… en lui braquant un fusil sur le ventre et en lui cassant les dents s’il ne voulait pas payer, comme me l’a raconté Abdul Latif Nizamani, un dirigeant syndical qui protestait contre les augmentations de 600% des prix de l’électricité et qui avait été arrêté et passé à tabac par les hommes de main de Musharraf.

Maintenant que l’armée pakistanaise avait pris le contrôle de l’infrastructure du pays et faisait office de garant des paiements vis-à-vis des grandes entreprises énergétiques US et anglaises, il ne fallut pas attendre longtemps (neuf mois pour être exact) pour voir le Général Musharraf s’emparer du pouvoir et du gouvernement – la presse occidentale fit mine d’être “surprise” par ce coup d’état. Et les Clinton, mouillés dans l’affaire jusqu’au cou, tout comme l’est Bush aujourd’hui, ne purent pas dire grand chose.

Quelques mois seulement avant la fin de son mandat, le président Clinton se rendit à Karachi pour faire un petit coucou à son ami Musharraf. Les élus Démocrates au Congrès firent la grimace. Musharraf n’avais pas perdu de temps après son coup d’état et s’était révélé être un dictateur autoritaire, ami des Talibans, qui violait les conventions internationales et les accords de dénucléarisation signés avec les U.S. en procédant à des essais nucléaires et en menacant de réduire en cendres l’Inde, un allié stratégique des Etats-unis. Bref, il y avait largement de quoi s’entretenir lors de la réunion Clinton – Musharraf. Mais – comme le raconte l’ambassadeur US à Karachi de l’époque – le principal point sur l’agenda diplomatique de Clinton était le paiement des sommes dues aux entreprises energétiques occidentales. Les droits de l’homme, la liberté de la presse, la prolifération nucléaire, les menaces contre l’Inde ? On verra tout ça plus tard…

Un prété pour un rendu. C’est vieux comme le monde, mais c’est un petit jeu dangereux, Mme Clinton.

http://www.gregpalast.com/mrs-clintons-forgotten-fling-with-the-killer-of-karachi/i/