[Greg Palast – 15/03/2008 – Traduction : Grégoire Seither]

Tandis que le gouverneur de New-York Eliot Spitzer refilait 4 300 dollars à une prostituée dans une chambre d’hôtel à Washington, à quelques rues de là, le nouveau Président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke avait également un rendez-vous galant. Réuni avec un petit groupe de spéculateurs en crédits immobiliers, il leur lâcha secrètement plus de 250 milliards de dollars, afin de garantir leurs obligations pourries.

Dans l’histoire de la banque fédérale de réserve des Etats-unis, jamais un tel déluge d’argent public n’avait été déversé sur des spéculateurs ébaubis, surtout si on considère le fait que ces mêmes spéculateurs ont mis plus de deux millions de familles à la rue, suite à la saisie de leur maison.

Jusqu’à mercredi dernier, un seul homme politique avait eu le courage de s’opposer à ces « petits cadeaux entre amis » : Eliot Spitzer. . .

Quand le régime Bush prit le pouvoir dans ce pays, les établissements financiers comme Countrywide et leurs copains débouchèrent le champagne. On allait enfin pouvoir plumer le pigeon, le rôtir et en plus lui faire payer l’addition. Mais il y avait toujours cet enquiquineur pour venir gâcher la fête, le Ministre de la justice de l’Etat de New York, Eliot Spitzer, qui traîna ces requins devant la justice. Ou du moins, il tenta de le faire.

Au lieu de réguler les pratiques usurières des banques en folie, les régulateurs de Bush attaquèrent Spitzer ainsi que toutes les administrations locales qui tentaient de mettre fin aux pratiques prédatrices des institutions de crédit. Faisant un usage inédit du pouvoir légale de “pré-emption fédérale,” les chiens de garde de l’Administration Bush ordonnèrent aux administrations des Etats (pourtant théoriquement souveraines) de ne pas appliquer leurs lois de protection du consommateur.

Les autorités fédérales ne se contentèrent pas d’imposer leur volonté aux Etats, ils allèrent même jusqu’à porter plainte au tribunal contre l’enquête menée par le ministre Spitzer. Celui-ci avait en effet entrepris d’enquêter sur des rumeurs comme quoi les établissements de crédit pratiquaient la discrimination raciale en matière de crédit immobilier et poussaient des clients « prime », parfaitement solvables à prendre des dossiers « subprime » à fort taux d’intérêt. Le point commun de tous ces clients était la couleur de leur peau. Une enquête de la Federal Deposit Insurance Corporation, en janvier 2008, a confirmé la réalité de ces pratiques discriminatoires (https://libertesinternets.wordpress.com/2008/03/01/la-discrimination-raciale-au-coeur-de-la-crise-du-subprime/)

Les copains banquiers de Bush étaient particulièrement en colère à cause du fait que Spitzer s’attaquait aux pratiques des banques à travers le pays en s’appuyant sur des lois de l’Etat de New York. .

Spitzer ne s’attaqua pas seulement à Countrywide, il visait aussi les prédateurs associés dans la communauté financière. Car derrière Countrywide il y avait la « Mère de tous les requins », son propriétaire et fondateur, Bank of America. Mais tout le monde était représenté à la curée du « subprime » : Goldman Sachs, Merrill Lynch et Citigroup Citibank. Toutes ces banques tiraient le gros de leur profits des taux usuriers en matière de crédit immobiliers. . .

Et puis, mercredi dernier, l’inimaginable se produisit : Carlyle Capital fit faillite. . . La « Fed » ne pouvait pas rester les bras croisés. Bernanke ouvrit grand son portemonnaie et soulagea la douleur des pauvres petits banquiers en les arrosant avec 200 milliards de dollars. . .

Le résultat ne se fit pas attendre. Chaque opération de spéculation sur les crédits immobiliers retrouva immédiatement de la valeur. Le cours de l’action de Countrywide grimpa de 17% en un seul jour. Les requins de Citi virent la valeur de leur portefeuille gagner 10 milliards en un seul après-midi.

Et – comme par hasard – le même jour où Bernanke décide de faire un méga-cadeau à ses copains de Wall-Street, la police débarque chez les « Sheriff de Wall Street » et lui passe les menottes. Spitzer a été réduit au silence.

Est-ce que je suis entrain de vous dire que les banquiers ont appelé le Ministère de la Justice et ont dit « Débarassez-nous de ce mec » ? Meuh non ! C’est pas comme ça que cela marche. Mais les gros bonnets de la finance savaient parfaitement que si on ne faisait pas taire Spitzer, il ferait suffisamment de bruit pour perturber leur petite fête, ou alors il allait gâcher le cadeau.

La presse financière avait préparé le terrain depuis le début de la crise – le WSJ titrait à un moment « Wall St déclare la guerre à Spitzer » – et de nombreux éditorialistes influents avaient indiqué la cible prioritaire aux « boys » de la Maison Blanche . Et pour une fois ce n’était pas Ben Laden.

C’est dans la nuit du 13 février que Spitzer commit l’erreur stupide d’appeler un service de livraison de repas à domicile pour se faire livrer dans sa chambre d’hôtel de Washington. Il venait de finir d’écrire un article pour le Washington Post à propos des crédits immobiliers usuraires. Son article se terminait ainsi :

“Non seulement l’administration Bush n’a rien fait pour protéger les consommateurs, mais en plus elle a déclenché une campagne agressive et sans précédent pour empécher les Etats de protéger leurs citoyens des problèmes que le gouvernement fédéral s’efforçait d’ignorer.”. . .

Avant d’être journaliste, je travaillais comme enquêteur anti-trust pour le gouvernement. J’étais l’assistant du procureur général et ai donc été témoin de nombreuses affaires criminelles. Toutes ne finissent pas à la « Une » des journaux. En fait, c’est le procureur qui use de son droit de « discrétion d’enquête » pour décider si on jette le nom de tel ou tel homme politique en pâture aux médias.

C’est un truc bien pratique, cette « discrétion d’enquête ». Par exemple, le Sénateur David Vitter, élu Républicain de la Lousiane, était un client actif d’un réseau de prostitution de Washington. Quand la police a démantelé le réseau, les filles ont déclaré se rendre régulièrement chez les Sénateur où elles devaient lui mettre des couches et lui talquer les fesses. Vous n’en avez jamais entendu parler n’est-ce pas ? C’est parce que le procureur de l’épôque avait décidé qu’il n’y avait pas lieu de donner une publicité particulière à ce client du réseau, un inculpé parmi tant d’autres…

Mais dans l’affaire Spitzer, la procédure habituelle n’a pas été suivie : le procureur ne s’est pas contenté d’inculper le gouverneur, il a également ameuté la presse et, dans les heures qui ont suivi, a alimenté les médias avec les détails les plus croustillants.

L’élimination sociale et politique de Spitzer a été faite sur ordre du Département de la Justice de l’Administration Bush.

http://www.gregpalast.com/elliot-spitzer-gets-nailed/