[Andréa Fradin  – Slate – 25/08/2014]

«Les femmes de 18 ans et plus représentent une part significativement plus importante de la population des joueurs de jeux vidéos (36%) que les hommes de 18 ans et moins (17%)». C’est l’une des estimations établies à la suite de l’analyse annuelle de l’Entertainment Software Association, groupe de pression du secteur des jeux vidéo aux Etats-Unis, reprise ce 22 août par le Washington Post sous le titre:

«Etude: les joueurs de jeux vidéo sont davantage des femmes que de garçons adolescents

Au total, les femmes constitueraient même 48% cette population, contre 40% en 2010. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces chiffres ne laissent pas indifférents les amateurs de jeux vidéo en question.


Extrait de l’étude annuelle de l’Entertainment Software Association

Comme le rapporte le Washington Post dans son article, ces estimations ont en effet relancé le sempiternel débat qui agite la communauté des joueurs de jeux vidéo: ces femmes sont-elles vraiment des «gamers»? Une question ravivée par le fait, comme l’explique le Washington Post, que ces joueuses apprécieraient particulièrement les jeux proposés sur mobile, tels que le désormais incontournables Candy Crush. Des jeux considérés comme mineurs par la communauté de ceux qui connaissent par coeur la généalogie des différentes consoles et maitrisent sur le bout des doigts les subtilités d’une manette Xbox ou PS3.

Un avis laissé sur Reddit, où le débat a déjà été alimenté par des centaines de commentaires, résume bien l’état d’esprit des contradicteurs de l’étude:

«J’ai quelques amis qui se considèrent comme des gamers, et qui n’ont jamais joué à rien d’autre qu’à leur téléphone. Bien que techniquement ils peuvent être considérés comme des « gamers », il y a « gamers » et « GAMERS ».»


Extrait de l’étude annuelle de l’Entertainment Software Association

Problème: derrière cette séparation radicale opérée entre jeux mobiles et jeux de consoles (et encore, pas les Jeux olympiques sur la Wii, entendre ici des jeux-difficiles-longs-et-qui-coûtent-la-peau-des-fesses), se cache aussi une certaine forme de sexisme, à en croire de nombreux observateurs, y compris dans la communauté des joueurs.

Un rejet épidermique que semblent attester de nombreuses affaires récentes. Parfois graves, elles peuvent aller jusqu’au harcèlement de figures fémines du jeu vidéo, telles qu’Anita Seerkasian, ou viser des joueuses anonymes lors de simples parties en ligne, comme elles en témoignent ici ou ici.

Sur Slate.com, l’une d’entre elles raconte ainsi comment elle doit toujours justifier de sa passion auprès d’autres joueurs, qui lui dénient le plus souvent son goût, et sa capacité même de savoir vraiment apprécier, telle ou telle franchise vidéoludique. Par exemple lors de cette conversation sur un jeu d’Ubisoft auquel elle a contribué:

« — Un mec: qui a fait ça?

— Moi: Ubisoft! Les créateurs d’autres trucs énormes, comme Assassin’s Creed, Splinter Cell, Rainbow Six…

— Le mec: auxquels, bien sûr, tu n’ as pas joué 

— Moi: [gros blanc]»

Si le problème du sexisme agite profondément le secteur du jeu vidéo, il est aussi à noter que d’autres mécanismes, spécifiques à la constitution et la conservation d’une communauté, semble également être à l’oeuvre ici.

De la même façon que certains spécialistes du football détestent «les Footix», les lecteurs de la saga «A Song of Ice and Fire» les fans de l’adaptation «Game of Thrones», certains joueurs dont la connaissance s’approche d’une compilation d’articles Wikipedia sur les jeux vidéo agissent un peu comme des tyrans en la matière. A commencer par des filles elles-même, comme le souligne le Washington Post, qui reprend ce message posté sur Reddit:

«En tant que joueuse féminine j’étais vraiment excitée à l’idée de lire cet article [du Washington Post], mais […] il y a une grande différence entre jouer à des apps mobiles et dépenser beaucoup de temps et d’argent sur des jeux sur console ou PC.»

S’il y a effectivement des différences entre faire glisser des bonbons sur mobile et dégommer des créatures dans Gears of War, on peut se demander où s’achève la distinction, dans la mesure où chaque jeu est singulier -et c’est tant mieux. Tant de plaisirs différents entre agiter ses fesses pour faire du hula hoop sur la Wii, construire un empire dans Civilization ou un foyer dans Les Sims, caler une passe en profondeur sur Fifa et être un as de Goldeneye ou Zelda sur Nintendo64.

Dans la mesure où certains joueurs ne «considèrent même pas les joueurs de Call of Dutycomme de vrais gamers», note encore un commentateur sur Reddit, où, pourquoi et selon quels critères placer alors le curseur entre les jeux suffisamment nobles et ceux qui ne méritent qu’un vague mépris? Et entre les pratiques suffisamment poussées et celles qui ne sont pas assez développées?

http://www.slate.fr/story/91365/jeu-video-majoritairement-femmes-probleme-gamers