Il est navrant de lire des stupidités simplistes pareilles sortant de la plume de l’ancien directeur de la CIA… on croirait entendre pérorer un vieux UDR au comptoir du café de commerce. Quand la première puissance mondiale, celle qui détient la totalité de la force de frappe terrestre se met à raisonner comme dans un Western, alors il ne nous reste plus qu’à courir aux abris. J’ai l’impression d’être revenu aux pires heures de Reagan et de la lutte contre les euromissiles…IL faut espérer que les conseillers de George Bush actuels sont un tout petit peu mieux renseignés sur la réalité de ce qui se passe au delà des frontières américaines… malheureusement on ne dirait pas.
L’autre jour il y avait « Missing » à la télé – le représentant de la CIA dans le film disait peu ou prou la même chose que James Wolsey… comme quoi, en 30 ans, ils n’ont pas évolué des masses.
A lire surtout la deuxième partie du message…
LE TRAIN SIFFLERA ENCORE TROIS FOIS…
par James Woolsey qui a dirigé la CIA de 1993 à 1995
Paris, Berlin et Bruxelles ont un problème avec les Américains. Le ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine, a qualifié de « simpliste » l’appellation « axe du Mal », appliquée par le président George W. Bush à l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord.
Le ministre allemand des affaires étrangères, Joschka Fischer, a déclaré que les Etats-Unis traitaient les Européens comme des « satellites ».
Quant au commissaire européen pour les relations extérieures, le généralement très avisé Chris Patten, il a parlé d' »absolutisme » et d' »accélération unilatérale » à propos de l’approche de George Bush. A l’exception de M. Patten, nous avons en réalité affaire, pour l’essentiel, à des membres de l’élite européenne, généralement de gauche, dont le gosier délicat s’accommode mal d’un parler direct et sans équivoque.
Ils s’étaient étranglés lorsque Ronald Reagan qualifia l’Union soviétique d' »empire du Mal ». Les voilà qui s’étranglent de nouveau. Il est malaisé de comprendre la réticence des Européens si l’on se penche sur le détail du comportement des régimes qui gouvernent l’Irak et la Corée du Nord par la torture et l’assassinat et, dans le même temps, développent des programmes de fabrication d’armes de destruction massive et de missiles balistiques, en violation complète de leurs engagements internationaux.
Dans ces régimes, on ne trouve quasiment rien qui ne relève pas du mal. Le cas de l’Iran est plus complexe parce qu’il existe, dans le pays en général et au sein d’une partie du gouvernement, un authentique mouvement réformiste, mais le pouvoir national reste exercé – et le recours au terrorisme soutenu – par un petit groupe de mollahs criminels dont le comportement n’a rien à envier à celui de leurs pairs en Corée du Nord et en Irak.
Le mot « axe » peut être tenu pour légèrement excessif : l’Allemagne, le Japon et l’Italie furent dans le passé passablement plus alignés que le groupe ici désigné, bien qu’existe une coopération certaine en matière de missiles entre l’Iran et la Corée du Nord, et un passé de coopération entre l’Iran et l’Irak, pour ce qui est du terrorisme. `
Et, bonté divine, comme pourrait dire le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, quelle est cette absence de consultation de la part des Etats-Unis ? M. Bush revient d’Asie, où il a consulté. Le vice- président se rend au Moyen-Orient, pour consulter. Le secrétaire d’Etat est en consultation permanente.
Non, ce qui émeut les Européens, en réalité, n’est absolument pas une quelconque inadéquation des propos du président ni une carence américaine dans la recherche de collégialité. C’est plutôt leur adhésion perverse au principe qui veut que nulle bonne action américaine ne doive rester impunie.
De nombreuses personnes, parmi les élites de l’Europe – au sein desquelles le premier ministre britannique Tony Blair et quelques autres fidèles font figure de voyantes exceptions -, persistent dans une vision du monde hargneuse et délibérément aveugle à la réalité dont le ressort central est que tout ce qui suscite une certitude ou un enthousiasme de l’Amérique est, au mieux, hautement suspect.
Cette attitude découle largement de leur choix de mener la belle vie, de maintenir des services sociaux généreux, de prendre de longues vacances et de laisser les Etats-Unis porter le fardeau principal consistant à préserver la paix dans le monde. Il n’est pas de mépris plus caustique que celui qui naît de la culpabilité.
La vie imite ici l’art – l’oeuvre d’art étant en l’occurrence le classique western Le train sifflera trois fois, tourné il y a un demi-siècle. Dans ce film, le shérif (Gary Cooper) d’une petite ville nommée Hadleyville vient de quitter son poste et de se marier. Au moment où il s’apprête à quitter la ville avec sa jeune épouse (Grace Kelly), il apprend que le chef des bandits qui dominèrent jadis la ville en y semant la terreur vient d’obtenir la grâce du gouverneur de l’Etat et arrivera dans un peu plus d’une heure, par le train de midi, celui qui siffle trois fois, afin de retrouver ses anciens complices et de reprendre le pouvoir.
Après quelques minutes d’hésitation, le shérif décide de revenir en ville, contre l’avis de sa femme, qui a de fortes convictions pacifistes, son successeur n’arrivant que le lendemain. Il entreprend alors d’organiser un groupe de volontaires pour protéger la ville. Mais, alors que midi approche, il devient de plus en plus évident que les braves citoyens de Hadleyville, qui, quelques années auparavant, avaient aidé le shérif à nettoyer la ville, ne sont désormais capables que d’aligner une kyrielle de bonnes excuses : « Si le shérif n’est pas là, il ne se passera rien ; c’est juste une affaire personnelle entre lui et Miller » (le bandit libéré), ou : » Ce sont les politiciens, là-haut, dans le Nord, qui sont responsables de ce bazar ; qu’ils viennent le régler, maintenant », etc.
Particulièrement poignante est la scène entre le shérif et son loyal adjoint de toujours, qui finit par se retirer lorsque midi approche, parce qu’il est inquiet pour ses jeunes enfants. « Rentre chez toi t’occuper de tes gosses, Herb », dit le shérif, qui sort alors affronter seul les bandits.
Seule l’épouse du shérif, qui avait commencé par le quitter, revient au dernier moment lui prêter main-forte, et il l’emporte, contre toute attente. Pour une petite dame quaker qui déteste les armes à feu, elle fait un beau score : un mort, une participation active à une autre mort.
Lorsque les habitants de la ville se rendent compte qu’il a gagné et sortent pour le féliciter, le shérif les regarde impassiblement, ôte son étoile qu’il laisse tomber dans la poussière, puis sa femme et lui prennent la route et s’en vont.
Dans la version de cette même histoire qui fait aujourd’hui la « une » des journaux, la production d’armes de destruction massive que mènent des Etats soutenant par ailleurs le terrorisme, c’est le train de midi qui approche inéluctablement et sifflera trois fois.
Le gouvernement français et les compagnies pétrolières françaises décrocheraient sans problème l’Oscar du meilleur remake pour leur interprétation collective, pour de vrai, de l’employé de l’hôtel qui ne voit qu’une chose : avec le retour en ville des bandits, les affaires du saloon vont être florissantes.
Bien d’autres Européens trouveront dans le film d’excellents modèles pour les aider à perfectionner les excuses à leur non-intervention et leur condescendance à l’égard de leur protecteur.
Fred Zinnemann, le réalisateur du Train sifflera trois fois, avait une bonne connaissance de ce territoire moral. En tant que réfugié d’Europe centrale, il avait entendu tous les arguments pour justifier les stratégies d’apaisement, ainsi que les conséquences fatales du refus d’attaquer les régimes mauvais sans attendre qu’ils soient en mesure de provoquer un désastre total.
« Tiens, diront sans doute les Européens antiaméricains en lisant ce point de vue, voyez comment les Américains idéalisent le cow-boy de l’Ouest sauvage, sa nature impulsive et son rapport uni- latéral au monde. Quelle naïveté ! Ils sont comiques. »
Deux ripostes rapides viennent à l’esprit. Les cow-boys sont des gens normaux ; certains sont impulsifs, d’autres sont des solitaires, d’autres encore ne sont ni l’un ni l’autre.
Mais ce que vous êtes en train de rejeter, ce n’est pas une version moderne du cow-boy, mais plutôt la version moderne du shérif.
Or les shérifs sont différents. Eux et leurs homologues, les GI par exemple, ont fait le choix d’une vie consacrée à la protection des autres, quel que soit le prix à payer.
Ce qui n’est pas être impulsif – c’est décider d’être un berger plutôt qu’un mouton.
La seconde est que, tout comme les Etats-Unis aujourd’hui en agissant contre l’axe, le shérif du film s’efforçait vraiment d’être multilatéral – il cherchait désespérément à rassembler une petite troupe. Simplement, il n’a pas trouvé d’amateurs.
Il refusait une chose, le shérif : renoncer à faire son devoir sous le seul prétexte que tous les autres trouvaient des excuses pour rester en dehors du combat.
Rentrez chez vous vous occuper de vos gosses, Européens. Rentrez chez vous vous occuper de vos gosses, et puis faites vos prières pour que, lorsque tout sera fini, nous ne rendions pas notre étoile en la laissant tomber dans la poussière.
James Woolsey a dirigé la Central Intelligence Agency (CIA) de 1993 à 1995.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Cartano © The Wall Street Journal Europe