QUAND LA MAISON BLANCHE INVENTE DES « OPPOSANTS » QUI SONT D’ACCORD AVEC ELLE
La Maison Blanche diffuse partout une tribune libre de deux experts de la Brookings Institution qui confirment la politique de G.W. Bush en Irak. Cette analyse, disent les communiquant de la Maison Blanche, est d’autant plus crédible »qu’elle provient de milieux connus pour s’être toujours opposés à la politique de l’actuelle administration ». Hmmm, vraiment ? Voyons un peu le pedigree de ces deux « opposant à G.W. Bush ».
Il y a fort à parier que les milieux néo-conservateurs français fassent beaucoup de bruit autour d’une tribune libre parue le 30 juillet dernier dans le « New York Times ». Sous le titre « Une guerre que nous pourrions bien gagner », les deux experts de la Brookings Institution, Michael O’Hanlon et Kenneth M. Pollack écrivent, « Nous obtenons enfin des résultats probants en Irak, du moins, d’un point de vue militaire. »
http://www.nytimes.com/2007/07/30/opinion/30pollack.html?_r=1&oref=slogin
Les auteurs se présentent dans l’article comme étant « deux experts en stratégie qui ont, par le passé, violemment critiqué l’Administration Bush pour sa gestion catastrophique de la crise en Irak » – ce qui est totalement faux, comme nous allons le voir un peu plus bas.
Mais que disent nos deux experts ? Au retour d’une visite de huit jours en Irak « où nous nous sommes entretenus avec des militaires américains, irakiens ainsi qu’avec des personnalités locales, » les auteurs déclarent, « qu’il y a suffisamment de bonnes nouvelles qui nous parviennent des champs de bataille en Irak pour que le Congrès décide de poursuivre et même renforcer ses efforts au moins jusqu’en 2008. ». Pour Hanlon et Pollack, « le débat en cours à Washington est surréaliste » et « le renforcement militaire en Irak, décidé par le président Bush et dirigé par le Général David Petraeus donne de bons résultats ». Pour l’avenir nos deux experts voient une situation où la présence militaire encore renforcée des soldats US permettra « non pas d’obtenir nécessairement la victoire mais une stabilité satisfaisante qui pourrait être acceptable tant pour nous que pour les Irakiens ».
Laissons de côté le cynisme d’une analyse qui juge ‘acceptable’ une situation décrite par tous les témoins ayant osé sortir de la « Zone verte » de Bagdad, comme étant rien de moins qu’un enfer… Mais les experts ne sortent jamais de la Zone Verte, ils se contentent d’interroger les échantillons qui y vivent. Ils auraient mieux fait de lire les papiers de la courageuse journaliste Anne Nivat (Life in the Red Zone = http://www.iht.com/bin/print.php?id=6713743).
L’administration Bush s’est immédiatement attelé à diffuser un avis qui (chose rare dans la presse de référence aux Etats-unis ces derniers temps) soutient de manière aussi directe sa politique irakienne – et ce malgré le fait que l’article dit en toutes lettres que « Bush et son équipe ont perdu toute crédibilité dans le dossier irakien ».
Le service de presse de la Maison Blanche a envoyé l’article par courrier électronique à tous les journalistes accrédites, sous le titre « Au cas où vous ne l’auriez pas vu ».
Peter Wehner, directeur du département des communications stratégiques de la Maison Blanche, a déclaré que cette tribune était « annonciatrice d’un changement climatique dans l’opinion sur le dossier irakien » http://dyn.politico.com/members/forums/thread.cfm?catid=7&subcatid=41&threadid=78748#78748
Comme on peut s’en douter, dans les 48 heures, les organes de presse partisans de la politique de Bush se sont précipités pour faire écho : l’article a été repris dans tous les coins de la blogosphère de droite états-unienne : http://hughhewitt.townhall.com/g/10c28f95-6024-412d-b884-14ffcbdc5534
http://www.powerlineblog.com/archives/2007/07/018075.php
http://hotair.com/archives/2007/07/30/a-war-we-just-might-win/
National Review, le principal organe du mouvement conservateur étatsunien, a rapidement rassemblé un panel de huit célébrités pro-guerre, y compris le Sénateur John McCain (R-AZ) et un autre expert de la Brookings, Peter Rodman, pour chanter les louanges de cette « analyse dont la crédibilité est renforcée par le fait qu’elle provient de milieux connus pour s’être toujours opposés à la politique de l’actuelle administration ».
http://article.nationalreview.com/?q=WQ5NDkwMDNiMzZhODNlNjdhN2JiM2EyMjQ1N2ZmMWQ=
Il y a fort à parier que cette opinion sera également propagée de ce côté ci de l’Atlantique : mais est-ce que O’Hanlon et Pollack sont vraiment les rebelles qu’ils prétendent être ? Rien n’est moins sûr. Si on reprend leurs positions ces 5 dernières années sur le dossier irakien, ils ont systématiquement joué le même rôle : celui d’experts établis et souvent invités par les médias, vaguement de centre-gauche, mais fournissant toujours la caution « libérale » aus politiques militaires erronnées de la Maison Blanche. http://www.thenation.com/docprint.mhtml?i=20050829&s=berman
A l’automne 2002, Pollack publia l’ouvrage : « The Threatening Storm: The Case for Invading Iraq », qui affirmait que Saddam Hussein était à deux doigts de fabriquer des armes nucléaires. Chris Suellentrop, dans le magazine « Slate », décrit le livre comme « capable de transformer plus de colombes en faucons que les discours de Richard Perle, Laurie Mylroie et George W. Bush combinés ».
http://www.amazon.com/Threatening-Storm-Case-Invading-Iraq/dp/0375509283
http://www.slate.com/id/2079705/
En Oct. 2002, Pollack était l’invité du Oprah Winfrey Show pour parler de l’Irak. Devant des millions de téléspectateurs il n’hésita pas à affirmer, de manière totalement erronée, que « Saddam Hussein n’a qu’un seul objectif, acquérir des armes nucléaires, et il est entrain d’en fabriquer aussi vite qu’il peut. »
http://www.tinyrevolution.com/mt/archives/001441.html
O’Hanlon a également participé à la campagne de manipulation de l’opinion qui a précédé l’invasion de l’Irak. Le 31 décembre 2002, dans une tribune libre reprise par plusieurs quotidiens aux Etats-unis, O’Hanlon affirme que « Saddam Hussein risque de tenter de porter la guerre sur le sol des villes américaines, à travers le terrorisme. » A ce stade, ce n’est plus faire de l’analyse, c’est susciter la peur.
http://www.brook.edu/views/op-ed/ohanlon/20021231.htm
En janvier 2003, celui qui se prétend aujourd’hui « opposant », déclarait encore, au micro de Fox News : « A mon avis, nous devons lancer la guerre avant le mois de mars prochain, si nous voulons profiter des bonnes conditions climatiques ».
http://thinkprogress.org/2007/07/30/media-ohanlon-pollack/
Compte tenu de la réputation de la Brookings Institution, les arguments, bien que notoirement faux, de O’Hanlon et Pollack avaient du poids et convainquirent bon nombre de sceptiques de la validité de l’invasion militaire de l’Irak. http://www.thenation.com/docprint.mhtml?i=20050829&s=berman
Avec la dégradation de la situation en Irak, dans les années qui suivirent, tant O’Hanlon que Pollack sont devenus plus critiques des stratégies de la Maison Blanche, mais sans pour autant devenir anti-guerre. Ainsi, à l’hiver 2006, ils apportent leur soutien intellectuel et rhétorique à la volonté de Bush de renforcer de manière significative la présence militaire US en Irak.
http://www.brook.edu/views/op-ed/steinberg/20040518.htm
http://www.iht.com/articles/2005/07/01/opinion/edpollack.php
Pollack, qui travaillait entre temps pour le Pentagone sur les projets d’escalade militaire, expliquait il y a encore huit mois, « Le plan du président est sans aucun doute la dernière chance pour parvenir à stabiliser l’Irak. »
http://www3.brookings.edu/comm/events/20070129.pdf
http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=6648921
Le 14 janvier 2007, O’Hanlon – endossant soudain l’habit de « l’opposant à la Maison Blanche », publia une tribune libre dans le Washington Post intitulée « Arguments d’un sceptique en faveur de l’escalade militaire », expliquant que même si le renforcement militaire (« surge ») était « pas assez fort, et survenant beaucoup trop tard…il n’en reste pas moins que c’est la seule bonne option à choisir par un Congrès et une opinion publique qui doute. »
En mars 2007, O’Hanlon rajoute une couche en plaidant que « plutôt que de se complaire dans un jeu de pouvoir avec M. Bush ce printemps, le Congrès ferait mieux de lui accorder les moyens demandés et de donner une chance à la stratégie de l’escalade militaire. »
http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2007/01/12/AR2007011201950.html
http://thinkprogress.org/2007/07/30/media-ohanlon-pollack/
Pour des « critiques violents » de l’administration Bush et des « opposant de toujours », voici des experts qui sont bien en phase avec les fauteurs de guerre à la Maison Blanche.
Grégoire