[Libération – 03/11/2008]
Nouveaux inscrits, machines à voter suspectes, fraudes… Le scrutin de demain est à haut risque.
«Une tempête est peut-être en train de se préparer […], avec un taux de participation qui pourrait battre tous les records, un nombre de contrôles insuffisants et un système électoral au bord de la rupture.» Cette prévision pas franchement rassurante a été faite il y a moins de dix jours par le très sérieux Pew Research Center, le centre d’études de Washington qui a enquêté pendant plusieurs mois pour savoir à quoi pourrait ressembler le 4 novembre 2008.
«Leçons du passé». Huit ans après le recomptage mémorable en Floride, quatre ans après la contestation du vote dans l’Ohio, l’Amérique ne peut donc pas écarter un nouveau scénario catastrophe pour cette élection. «Avec les votes anticipés, on pourrait penser qu’on a tiré les leçons du passé, mais pas vraiment, explique Michael Waldman, le directeur du Brennan Center for Justice, qui milite pour un changement de système. Nous sommes face à une série de facteurs qui peuvent entraîner le chaos. D’une part, il va y avoir les nouveaux inscrits, d’autre part, les problèmes avec les machines électroniques. Et puis reste la fraude qui peut intervenir, car aux Etats-Unis le scrutin est géré au niveau local.» Barack Obama pourrait ainsi ne pas bénéficier à plein de la vaste campagne d’inscription sur les listes électorales qu’il a lancé depuis de longs mois.
Selon les derniers chiffres, plus de 8,5 millions de nouveaux votants ont été enregistrés cette année, mais avec eux, les problèmes se sont multipliés. Dans le Colorado par exemple, le secrétaire général de l’Etat, un républicain, a refusé 6 000 nouveaux inscrits, sous prétexte qu’ils n’avaient pas coché une case avant de donner leur numéro de sécurité sociale. L’affaire a été portée devant la justice par les démocrates, mais n’a pas encore été tranchée. En Pennsylvanie, les troupes d’Obama ont dénoncé le fait que personne n’ait informé les électeurs nouvellement recrutés qu’ils devraient présenter une pièce d’identité pour aller voter, alors qu’aucun justificatif n’est nécessaire pour ceux ayant participé à au moins deux cycles électoraux…
«Mickey Mouse». Coté républicain, on n’est pas en reste. Depuis des semaines, John McCain et Sarah Palin fustigent dans leurs meetings le «scandale Acorn». Cette association, qui regroupe des centaines de travailleurs sociaux dans tout le pays, a aidé à l’inscription de plus d’un million de nouveaux électeurs dans de nombreux Etats clés. Mais dans certains cas, ces mêmes travailleurs sociaux, payés au prorata d’inscrits, n’ont pas hésité à «inventer» les nouveaux venus. Et des «Mickey Mouse» sont soudain apparus sur les listes de Floride. Au point que le FBI a été chargé d’une enquête.
Paradoxalement, la modernisation du système électoral et des machines à voter n’a rien arrangé. Après la débâcle de 2000, le Congrès a imposé à chacun des 50 Etats américains de créer une banque de données d’électeurs, en enregistrant tous les républicains, les démocrates et les indépendants, grâce à leur permis de conduire ou leur numéro de sécurité sociale. L’objectif était simple : éviter les fraudes et pouvoir vérifier l’identité de ceux qui se présentent aux urnes. Seul problème : les nombreuses erreurs typographiques qui existent sur les papiers officiels.
Dans un exercice «à blanc» en août, le Wisconsin a pris un échantillon de sa population et a tenté de mettre en adéquation les noms figurant sur les cartes électorales et les noms emmagasinés dans sa nouvelle banque de données. Avant de constater un pourcentage d’erreur supérieur à 20 %. Il y a encore une semaine par exemple, Samuel Joseph Wurzelbacher, le fameux «Joe le Plombier», n’aurait pas pu voter. L’Ohio s’est rendu compte que son patronyme avait été mal orthographié par les autorités de Lucas County.
L’inquiétude existe également concernant les nouvelles machines électroniques à écran tactile mises en place depuis le scrutin de 2004. Elles ne disposent d’aucun «reçu papier» et ne peuvent être soumises à aucune vérification en cas de litige. «La seule satisfaction, c’est que tout le monde sera plus vigilant, conclut Michael Waldman. Mais si les résultats sont serrés, alors le pire est possible.»
http://www.liberation.fr/monde/0101166610-le-spectre-du-chaos-electoral