Dans l’anthropologie, il existe le concept de « indigène trop volontaire » (« eager native ») – c’est un représentant de la population étudiée qui se précipite au-devant de l’anthropologue (blanc généralement) et qui s’approprie son langage afin d’en tirer un avantage vis-à-vis de sa communauté (« je suis avec le blanc »). L’anthropologue est ravi (« je suis avec le noir »), il trouve un indigène qui lui confirme son préjugé – et occulte par là le « vrai discours » du peuple indigène qu’il était censé étudier ! Frantz Fanon appelait cela « le nègre utile ».
Dans le colonialisme, la même chose existe et permet de légitimer ou de disculper la colonisation – « Nous ne sommes pas des méchants, puisque un représentant du peuple colonisé nous soutient ouvertement et approuve nos thèses ». Cela va de la « Malinche », cette soi-disante « princesse aztèque » qui aurait « aidé Cortes dans la conquête du Mexique (« nous n’étions pas des envahisseurs, nous avons simplement aidé un camp a triompher contre l’autre ») aux témoignages de « chefs Noirs » abondamment publiés par la presse aux Etats-unis avant la Guerre de Sécession, qui expliquent qu’ils ne veulent surtout pas être libérés de l’esclavage car ils n’ont pas les capacités pour être libres. En Algérie française, en Nouvelle-Calédonie ou en Irak, à chaque fois, la parole « indigène » est utilisée (fabriquée) pour légitimer l’ordre colonial. « Vous voyez bien qu’on a raison, puisque les Indigènes qui ont pris la peine d’évoluer disent la même chose que nous ».
Dans le cas de Chalghoumi, repéré et promu par la communauté juive, il est « l’Arabe utile » qui permet de faire taire la critique contre les exactions israéliennes. « Vous voyez, les Arabes ne sont pas tous contre nous, ce ne sont que les antisémites massacreurs qui nous critiquent, les « bons Arabes » comme Chalghoumi sont avec nous »…. Chalghoumi est un simple rouage de plus de la propagande « hasbara« . Il finira d’ailleurs par tomber le masque lors des massacres à Gaza, quand il demandera à l’Etat d’interdire les manifestations pro-palestiniennes, « parce que celles-ci sont antisémites »… Un « imam » arabe qui traite les pro-palestiniens d’antisémites – voilà un investissement payant pour le Lobby israélien !
Depuis une quinzaine de jours, bien que ne représentant que lui-même, il a squatté, avec sa calotte blanche, les plateaux de télévision, les micros des radios, les manifestations « charliesques » et les commémorations. Voici l’incroyable histoire d’un pizzaïolo fondamentaliste musulman, toujours interdit de séjour aux États-Unis, qui, fort du soutien des représentants officiels de la communauté juive, est devenu l’interlocuteur privilégié de Manuel Valls. Et qui sera sans doute chargé d’incarner l’improbable « islam de France », c’est-à-dire un islam laïc.
« L’Imam des lumières. »
Libération, 6 juillet 2012. « L’Islam des services. » Farid Hannache, son ancien bras droit.
« Si Chalghoumi est rejeté, ce n’est pas parce qu’il est modéré, comme certains veulent le faire croire, mais parce qu’il est illégitime. Il est désigné représentant d’une communauté par ceux qui n’y appartiennent pas. Chalghoumi est ce que la sociologie américaine appelle un « native informant », ces figures qui occupent la parole d’une communauté dont ils n’ont pas le soutien, mais qui tirent leur légitimité des médias et des milieux politiques dominants. Il dit ce que la majorité a envie d’entendre de la part d’une minorité, mais pas ce qu’elle pense réellement. Les « informateurs indigènes » valident les stéréotypes que la majorité véhicule sur leur communauté. On parle également des « rented negroes », ces noirs américains qui monopolisent le paysage médiatique pour donner « un visage de noir pour une opinion de blanc ». Chalghoumi est loué dans les deux sens du terme et l’un parce que l’autre ! […] Le message qui est envoyé au public c’est qu’un imam modéré est rejeté par ses coreligionnaires qui sont donc, dans leur majorité, extrémistes. La mise en scène de Chalghoumi, loin de combattre le préjugé d’un islam radical et intolérant, le conforte puissamment. […] Il est au dialogue judéo-musulman ce que les bourgeois de Calais étaient au dialogue franco-britannique. Encore que ces derniers n’avaient guère le choix. » Pascal Boniface, Le plus Nouvel Obs, 14 février 2013.
« En réalité, quand bien même l’imam de Drancy agirait par ambition personnelle, l’important n’est pas sa personne, que chacun a le droit de ne pas apprécier, mais les idées qu’il incarne. Il faut se rendre à l’évidence : pour certains de nos concitoyens, l’« islam de France » prôné par Chalghoumi n’est pas une chance pour les musulmans français, mais une menace pour leur identité. À ceux-là, il faut faire entendre clairement la position de la République : Chalghoumi n’est pas le problème, il est la solution. » Elisabeth Lévy, Le Point, 14 février 2013 (la journaliste le connaît bien pour avoir participé, avec lui, en juin 2012, au forum Démocratie et religion à Tel-Aviv avec Alain Finkielkraut, Raphaël Enthoven, Caroline Fourest, etc.).
« L’homme est une parabole de la complaisance paresseuse ou méprisante des élites républicaines, quand on évoque l’islam ; Chalghoumi est devenu célèbre et positionné. De religieux obscur contesté dans sa mosquée, l’imam est devenu un sujet d’actualité nationale, puis une marque. Deux marques en fait : « L’imam des juifs », pour ceux qui le vilipendent, donc un Juste, instantanément, pour les dirigeants des communautés juives (qui) ne jurent que par ce gentil prêcheur, l’adoubent et l’entourent, le manipulent, et l’étouffent de leur empressement. Et « l’imam modéré », pour les autorités politiques en mal de musulman convenable, qui de même l’ont couvé, entouré, étouffé, vanté, promu, sous Sarközy puis sous la gauche, et les médias à l’unisson : deux bouquins, des plateaux télé, une parole recueillie avec la gravité qui accompagne les révélations […] Sa mosquée se remplit mal. L’imam de Drancy intéresse ceux que l’islam réel n’intéresse pas. Mais il n’est pas aimé chez les musulmans engagés, témoins ébahis de son ascension. On lui reproche tour à tour sa syntaxe hasardeuse, son parcours opportuniste, la protection ostensible des puissants, son illégitimité religieuse, son destin qui respire l’incohérence ou l’insincérité. L’ancien missionnaire du Tabligh est désormais le plus nationaliste des religieux, expliquant que tout le mal vient de l’islam d’ailleurs […] Problème : cet engouement ne tient compte de rien […] Chalghoumi parle dans le vide, ou dans l’air du temps. « Je suis malade qu’on me fasse représenter par cet homme incapable d’aligner deux phrases » […] Chalghoumi exaspère les musulmans, mais est une vedette française […] Chalghoumi est inaudible – sauf dans la France officielle, ses politiques et ses médias, le public innocent. »Claude Askolovitch, Nos mal-aimés : ces musulmans dont la France ne veut pas (Grasset, 2013). (suite…)
« Tu montres les crocs, mais une simple blague fait trembler les fondements de ta pensée »… Merci les gars, c’est ce que j’avais besoin d’entendre !
[Mathieu Sommet – Salut les Geeks – 18/01/2015]
Face à la peur et à la tyrannie, qui viendra sauver ces hommes ? Ce court-métrage a été réalisé pour rendre hommage aux 17 victimes qui ont perdu la vie lors des tragiques attentats qui ont touché la France.
PORTRAIT – Avec ses vidéos réalisées depuis sa chambre, Norman Thavaud fait les plus fortes audiences sur YouTube en France. Son influence dans les cours de lycée est énorme. Les parents pourront aller le voir en spectacle.
[ Ludovic Perrin – Le Journal du Dimanche – 18/01/2015]
C’est un garçon mal adapté au monde des grands. Pas trop viril, pas trop bilingue, pas assez costaud pour s’imposer dans une compétition globale où les hommes font le job et où « les femmes ont des couilles ». Un jour, après avoir perdu une partie de ping-pong, il s’est enfermé dans sa chambre. S’inspirant de ses mésaventures, il a écrit, dans sa barre d’immeuble de Montreuil (l’appartement prêté par son beau-frère), un sketch absurde qu’il a filmé, joué et monté avant de le poster sur YouTube comme une bouteille jetée à la mer. Quelques jours plus tard, il découvre que sa vidéo a été visionnée par plusieurs centaines de milliers d’internautes.
Cinq ans plus tard, Norman Thavaud est devenu sous ses airs de grand frère l’une des personnes les plus influentes auprès des ados. Ses vidéos pointant par le détail (l’absurdité de l’objet chemise, le fossé social entre les adeptes du Mac et ceux du PC, le snobisme des anglophiles) l’ostracisme et les préjugés dont souffre toute la jeune génération baladée des cours de lycée aux stages en entreprise, dépassent chacune en moyenne plusieurs millions de vues.
Un humoriste qui fuit la télévision
À tel point que « Luigi clash Mario », dans laquelle Norman défend la cause de l’outsider Luigi face au héros iconique de jeux vidéo Super Mario, a été la vidéo la plus vue sur YouTube France l’an dernier. Bien entendu, le site d’hébergement de vidéos en ligne lui a immédiatement proposé un contrat de partenariat. Et toutes les chaînes de télévision ont voulu l’avoir dans leurs émissions. À la surprise générale, le jeune homme a décliné toutes les propositions des télévisions. (suite…)
[Alexandre HERVAUD – Libération – 20 JANVIER 2015]
Le Syndicat de la magistrature dénonce le manque de recul des procédures lancées à la hâte après les attentats. Dans les faits, les peines prononcées varient fortement d’un tribunal à l’autre.
Définie par l’administration française comme le fait de «présenter ou commenter favorablement des actes terroristes déjà commis», l’apologie du terrorisme – qui doit avoir été faite publiquement pour être punie – ne relève plus seulement de la loi sur la liberté de la presse, mais aussi du code pénal. Conséquence directe de l’application de la loi contre le terrorisme de novembre 2014, le délit d’apologie du terrorisme s’est retrouvé au cœur des débats depuis les récents attentats parisiens.
En deux semaines, près de 70 procédures pour «apologie du terrorisme» ou «menace d’action terroriste» ont été engagées, avec près de 30 condamnations à la clé. Le Syndicat de la Magistrature fulmine dans un communiqué publié aujourd’hui : «depuis quelques jours s’enchaînent les procédures expédiées, où l’on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l’homme, poursuivi pour avoir fait l’apologie du terrorisme». Un texte sévère, qui invite à «résister à l’injonction de la répression immédiate» où il est notamment question de justice «désastreuse», de manque de«recul» et de «réactions hystérisées».
Ce qu’on a appelé « gauche radicale » ou « gauche de la gauche » ou « gauche de gauche » a émergé au cours des années 1990, avec des composantes :
partisanes (LCR, puis NPA, plus tard Front de gauche, avec notamment le PCF, le PG et Ensemble, des courants de gauche du PS et des Verts, plus récemment Nouvelle Donne, et puis du côté postcolonial le Parti des Indigènes de la République),
associatives (Attac, créée en juin 1998, Fondation Copernic, mouvements des « sans », groupes féministes, Act Up, etc.)
ou syndicales (Union syndicale Solidaires, des secteurs de la FSU et de la CGT).
Cette gauche radicale commençait à se saisir tout à la fois de l’impasse du stalinisme, après la chute du Mur de Berlin en 1989, et de l’enlisement social-libéral du Parti socialiste depuis 1983. Elle mêlait entre autres une extrême-gauche issue de Mai 1968, devenue plus pragmatique dans l’attention aux contradictions de la société et aux mouvements sociaux, une galaxie communiste en recomposition, une gauche écologiste, des sensibilités critiques du PS ou un renouveau des thématiques « républicaines ».
Une de ses origines a été en avril 1991 le manifeste « Refondations », initié notamment par l’ex-ministre communiste Charles Fiterman. Les grandes grèves et manifestations de l’hiver 1995 ont constitué pour cette galaxie naissante un moment d’accélération. Des ré-élaborations marxistes, incarnées particulièrement par Daniel Bensaïd, et des sciences sociales critiques engagées, symbolisées par Pierre Bourdieu, l’ont accompagnée intellectuellement.
Débordée par l’extrême droite
Cette gauche radicale a eu principalement des effets sur le champ politique et sur l’espace idéologique public entre 1995 et 2006 ; 2005 correspondant à la victoire du « non » au Traité constitutionnel européen et 2006 à la victoire du mouvement social contre le CPE (Contrat Première Embauche).
Cependant, entre routinisations organisationnelles, faible imagination au niveau des pratiques politiques, prégnance institutionnelle de la présidentialisation, divisions ou appauvrissement intellectuel, elle a depuis largement perdu la main. Elle n’a pas réussi à constituer une alternative à la gauche sociale-libérale, ni dans le cadre des institutions représentatives existantes (Front de gauche), ni dans un rapport plus critique à ces institutions (NPA), ni vraiment réussi à inventer une politique citoyenne non partisane pesant significativement sur les enjeux du moment (Attac).
Elle a même été débordée par l’extrême droite, qui apparaît de plus en plus comme une possibilité électorale crédible par rapport aux alternances rituelles entre le PS et l’UMP. Par ailleurs, sur le plan culturel, un néoconservatisme xénophobe, sexiste, homophobe et nationaliste à deux têtes (islamophobe avec Eric Zemmour, antisémite avec Alain Soral) est en train de lui piquer ses mots (« néolibéralisme », « pouvoir des banques et de la finance », « mondialisation », « propagande médiatique », « peuple », « social », « République », « démocratie », « laïcité », « écologie »…) et ses postures critiques (dans une rhétorique « antisystème » vague associée à une rebellitude floue), dans la magie d’un « politiquement incorrect » débarrassé des appuis émancipateurs de la critique historique de gauche. (suite…)
[Schlomo Sand – UJFP – 13 janvier 2015 – Traduit de l’hébreu par Michel Bilis]
Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je êtreCharlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?
Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction par Charliedes caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !
On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».
Vous n’avez pas trouvé « CHARLIE HEBDO » dans votre kiosque ce matin ? La queue était trop longue ? Pas envie de filer du fric à Philippe Val (qui est toujours membre de la rédaction) ? Vous êtes un jihadiste planqué dans un maquis, sans accès à la presse ? Nous avons la solution 🙂
[N° 1178 – 14 Janvier 2015 – Fichier Adobe PDF – 13 Mo]
PRÉSENTATION : Une revue de web sans prétention et sans régularité, fruit des déambulations quotidiennes d'une équipe informelle d'agrégateurs d'informations et de veilleurs d'IES... qui s'intéressent aux questions de censure, de liberté d'expression, de manipulation, de propagande et de défense des libertés à l'heure des réseaux et des technologies de surveillance. "Ceux qui sont prêts à abandonner un peu de leur libertés fondamentales en échange d'un peu de sécurité illusoire ne méritent ni l'une ni l'autre" Benjamin Franklin