Au Mexique, le sous-commandant Marcos « cesse d’exister »
[ Frédéric Saliba – LE MONDE | 25.05.2014 ]
« Marcos cesse d’exister », a déclaré, dans un communiqué publié dimanche 25 mai, le sous-commandant Marcos qui était réapparu en public, la veille, après cinq ans d’absence. Porte-parole de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), le charismatique guérillero annonce quitter la direction du mouvement qui lutte, depuis vingt ans au Mexique, pour la défense des droits des indiens. Une annonce choc, justifiée par les réorientations stratégiques que connait l’EZLN.
L’homme à la pipe et au passe-montagne a créé la surprise, samedi 24 mai, en faisant une apparition lors des funérailles d’un dirigeant zapatiste dans un quartier indigène de la ville de Las Margaritas dans l’Etat du Chiapas (sud). Face à des milliers de membres et sympathisants de l’EZLN, Marcos serait arrivé « à cheval avec un bandeau de pirate sur l’œil droit et fumant son inséparable pipe », a rapporté le Pozol Colectivo, un des rares médias communautaires autorisés à assister à l’événement. Marcos aurait rendu hommage à José Luis Solis Lopez, surnommé « Galeano », tué le 2 mai au cours d’un affrontement entre l’EZLN et des membres d’une organisation ouvrière, proche du gouvernement du Chiapas et du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir). (suite…)
(Commentaire de Maria : Peu de gens connaissent l’histoire de la « Cristiada », une conséquence directe des politiques violemment anticléricales (également tombées dans l’oubli) d’une partie des gouvernements en Europe et en Amérique. En France, la « guerre religieuse » entre « curetons » et « laïcards » n’est qu’un des nombreux aspects… en Allemagne, Bismarck dissout et interdit les congrégations religieuses, au Mexique, le gouverment interdit carrément la religion… un peu plus tard, en Russie, les bolchevicks font la guerre aux croyants… encore plus tard, lors de la guerre civile espagnole, la religion sera également au coeur des combats…
L’histoire des « Cristeros » est intéressante car elle va alimenter l’imaginaire paranoiaque de plusieurs générations catholiques du XXè Siècle et être l’un des puissants moteurs de leur basculement dans le fascisme. Les personnes élevées dans l’atmosphère réactionnaire et anti-républicaine de l’église catholique de l’époque seront abreuvés en permanence des histoires sanglantes d’horreurs commises par les « rouges » et les « franc-maçons » et le courage des « martyrs de la foi » ou encore des « guerriers de Dieu » qui assassinent les impies en criant « Viva el Cristo Rey ». Léon Degrelle, le fasciste belge (et meilleur ami de Hergé, inspirateur du personnage de Tintin) raconte ainsi à quel point cette « martyriologie moderne » aura été l’inspiration de son « combat antibolchevique ». Idem pour Pétain (ainsi que Charles De Gaulle). Après la guerre, dans le Franquisme mais aussi chez les généraux putchistes (tous catholiques) en Amérique du Sud, on retrouve cette martyriologie obsessionelle – l’idée que si on ne frappe pas le premier, les « rouges » vont revenir massacrer les croyants.
Pinochet raconte dans ses mémoires que, quelques semaines avant le coup d’état, alors qu’il hésite encore, sa femme lui montre leurs enfants et lui dit « Si tu ne fais rien, ils finiront emprisonnés, sous la botte des rouges, massacrés comme les Cristeros, c’est cela que tu veux ? »…
Encore aujourd’hui, l’obsession anti-franc-maçonne de gens comme Emmanuel Ratier ou bien la résurgence du conspirationisme « illuminati » chez les militants anti-mariage pour tous est un écho de cette histoire vieille de cent ans…
La Vendée Mexicaine
[Herodote – André Larané – 14/05/2014]
Président de la République de 1924 à 1928, le général Plutarco Calles entreprend de consolider les acquis de la révolution de 1910, illustrée par les exploits de Zapata et Pancho Villa. C’est ainsi qu’il réorganise l’instruction publique et étend la réforme agraire, distribuant plus de trois millions d’hectares aux petits paysans des coopératives (les ejidatarios). Il confirme aussi la nationalisation de l’industrie du pétrole au grand dam des États-Unis…
Mais fidèle à une tradition anticléricale vieille de près d’un siècle, le président a aussi la mauvaise idée de s’en prendre à l’Église catholique.
Le 1er décembre 1924, il prive de droits civiques les catholiques (laïcs et prêtres) sous prétexte qu’ils obéissent à un souverain étranger, le pape ! Il expulse le nonce, l’ambassadeur du Vatican, ainsi que tous les ecclésiastiques étrangers. Il interdit aux prêtres toute critique du gouvernement en vertu de l’article 130 de la Constitution de 1917, jusque-là resté inappliqué. Il interdit les congrégations enseignantes et ferme pas moins de 20.000 églises !
Exéution en 1927, au Jalisco, du père Francisco Vera, coupable d’avoir célébré la messe
L’épiscopat se rebiffe et suspend le 31 juillet 1926 l’administration des sacrements dans tout le pays pour une durée de trois ans. Cette riposte ahurissante de la part d’un haut clergé essentiellement criollo (d’origine européenne) livre au désespoir les masses rurales, majoritairement indiennes ou métisses, attachées à une religiosité traditionnelle.
Les paysans se soulèvent sans attendre contre les autorités de la capitale, dans un parallèle frappant avec le soulèvement des Vendéens en 1793, en lutte contre les révolutionnaires parisiens. Leur cri de ralliement : « ¡ Viva Cristo Rey ! ¡ Viva la Virgen de Guadalupe ! » (Vive le Christ-Roi ! Vive la Vierge de Guadalupe) fait référence à la Vierge apparue à un Indien en 1531 et à la proclamation par le pape Pie XI, le 11 décembre 1925, du Christ « Roi des nations ».
Ces insurgés sont par dérision surnommés « Cristeros ». Eux-mêmes qualifient plus volontiers leur soulèvement de « Cristiada » (Christiade) mais ils sont désavoués par l’épiscopat, à deux ou trois exceptions près. Il n’empêche qu’avec 50.000 combattants, ils vont constituer la plus importante rébellion qu’ait connue le pays, lequel compte à cette époque moins de vingt millions d’habitants disséminés sur deux millions de km2.
Ils recrutent contre rémunération le général Enrique Gorostieta (38 ans), lequel est, d’après l’historien Jean Meyer, catholique, bon mari et bon père, contrairement à une légende qui en fait un franc-maçon laïc. Il va discipliner ses troupes et les conduire de victoire en victoire malgré le manque de moyens. Le soulèvement a débuté dans l’État du Jalisco, au bord de l’océan Pacifique (capitale : Guadalajara). Trois ans plus tard, l’armée des Cristeros tient plus des trois quarts de l’ouest du Mexique et la moitié des 30 États de la fédération.
Tous les habitants des campagnes concernées se montrent solidaires et les femmes ne sont pas les moins actives. Comme dans toute résistance populaire, elles servent au renseignement, à l’approvisionnement des combattants et au transport des munitions. Des brigades féminines, les Brigadas Bonitas ou Jolies brigades, combattent même sous le patronage de Jeanne d’Arc.
Cette guerre occasionne un total d’environ 90.000 tués selon l’historien Jean Meyer, dont les deux tiers dans les troupes gouvernementales, lesquelles sont en infériorité tactique face à la guérilla, malgré leur recours systématique à la terreur. (suite…)
[HERODOTE – propos recueillis par André Larané pour Herodote.net, le 12 mai 2014]
Dans un entretien exclusif avec Herodote.net, l’historien Emmanuel Todd analyse l’évolution de l’Union européenne et dit son intention de ne pas aller voter le 25 mai, pour la première fois de sa vie. Un choix raisonné et, de son point de vue, civique…
Par ses travaux sur les structures familiales, Emmanuel Todd est l’un des principaux historiens de sa génération. C’est aussi un témoin engagé de son époque qui peut se flatter de n’avoir jamais été pris en défaut dans ses nombreux essais. Volontiers provocateur, il s’est attiré quelques inimitiés par ses interventions dans la presse et à la télévision mais rares sont les contradicteurs qui s’estiment assez armés pour lui faire front.
Herodote.net : À vous lire, on peut se demander si vous avez le don de prophétie. En 1976, à 25 ans, votre coup d’essai fut un coup de maître car vous avez annoncé dans La Chute finale l’effondrement à moyen terme du système soviétique sans connaître pour autant l’URSS.
Emmanuel Todd : Je vais vous l’avouer, il n’y a rien de miraculeux là-dedans ! Je fais simplement un peu plus attention que d’autres aux chiffres qui traînent partout. Par exemple, mon intuition sur La Chute finale est venue de ce que la mortalité infantile en URSS était en train de fortement remonter. C’est un phénomène exceptionnel et j’y ai vu l’effritement du système. J’en ai conclu que le pouvoir soviétique était condamné à brève échéance.
Plus récemment, en pleine guerre froide irano-américaine, j’ai pronostiqué avec mon ami Youssef Courbage l’entrée dans la modernité de l’Iran et de plusieurs pays arabes (Le Rendez-vous des civilisations, 2007). Ce n’était pas difficile, il suffisait de regarder le nombre d’enfants par femme et le pourcentage d’étudiantes à l’université. En adoptant une rationalité familiale proche des standards occidentaux, ces peuples étaient prêts à se convertir aussi à une nouvelle rationalité démocratique et politique.
En ce qui nous concerne, c’est différent. En écrivant L’invention de l’Europe, en 1990, j’ai pris conscience de l’extrême diversité anthropologique de notre continent et j’y ai vu l’illusion de réduire l’Europe à une construction étatique. Gardons-nous de sacrifier notre diversité car elle est la clé de notre dynamisme.
Pour cette raison, bien que partisan de l’Union européenne, j’ai voté Non au traité de Maastricht qui lançait la monnaie unique et, en 1995, quand mon livre a été réédité, je me suis hasardé à écrire dans la préface : « Soit la monnaie unique ne se fait pas, et L’Invention de l’Europe apparaîtra comme une contribution à la compréhension de certaines impossibilités historiques.
Soit la monnaie unique est réalisée, et ce livre permettra de comprendre dans vingt ans pourquoi une unification étatique imposée en l’absence de conscience collective a produit une jungle plutôt qu’une société. »
Emmanuel Todd : Eh bien, pas du tout ! Quand la monnaie unique est arrivée, j’ai voulu faire preuve d’optimisme en bon citoyen européen et j’ai voté Oui au référendum. Mais la réalité nous a tous rattrapés… (suite…)
Tout d’abord dans le conflit entre l’Ukraine et la Crimée. Kiev a en effet décidé le 26 avril dernier de couper les vannes du canal de Crimée du Nord, un canal qui assure à lui seul 85% des besoins en eau de la Crimée. Exemple frappant de l’utilisation de l’eau dans le cadre des conflits géopolitiques.
Comme je vous le disais quand nous nous sommes intéressés au sujet il y a quelques mois (vous pouvez retrouver l’article en question ici), il n’y a pour l’instant aucun exemple historique de guerre déclenchée à cause et uniquement à cause de l’eau. Seules les révoltes sociales, appelées justement « la Guerre de l’eau », qui ont frappé la Bolivie en 2000 pourraient constituer l’exception à cette règle.
Mais cette ressource indispensable, non seulement aux hommes mais aussi à l’agriculture, l’élevage sans oublier l’industrie, est de plus en plus utilisée comme un moyen de pression dans des conflits géopolitiques ou économiques entre pays. L’exemple de la Crimée nous le rappelle.
La composante hydrique des conflits devrait d’autant plus s’accentuer dans les années qui viennent que, selon un récent rapport de l’Unesco, deux tiers de la population mondiale souffrira de la pénurie d’eau d’ici à 2025.
La Californie se déshydrate à vue d’oeil
Si le terme de guerre de l’eau a refait surface ces dernières semaines, c’est aussi à cause des tensions grandissantes autour des réserves hydriques en Californie. L’Etat connaît une sécheresse qui concourt pour le titre peu envié de pire sécheresse de l’histoire californienne. Depuis trois ans, l’Etat est effectivement dans une situation préoccupante entre précipitations au plus bas et températures excessives. (suite…)
En même temps, vu la merde que c’est Norton, il vaut mieux le laisser mourir en effet… Peter Norton lui même a honte du produit qui porte son nom et l’a fait savoir l’an dernier…
[Gilbert Kallenborn – 01.net – 06/05/14]
Selon l’éditeur, les antivirus laissent passer plus de la moitié des attaques informatiques. Côté technologique, mieux vaut se concentrer sur la détection d’intrusion, histoire de « sauver les meubles ».
Parfois, la vérité est dure à dire, mais parfois c’est nécessaire : le bon vieux antivirus ne sert plus à grand-chose. Et c’est l’un de principaux fournisseurs d’antivirus qui le dit. Cité par The Wall Street Journal, Brian Dye, senior vice-président chez Symantec – qui édite la suite Norton – estime que « l’antivirus est mort et condamné à l’échec ».
Créé dans les années 80, ce type de produit de sécurité s’appuie sur des bases de données de signatures pour repérer des codes malveillants sur les équipements informatiques. Mais cette parade ne fonctionne plus : selon M. Dye, les antivirus ne détecteraient plus que 45 % des attaques. « Ce n’est plus avec des antivirus que nous allons gagner de l’argent », précise-t-il.
Comment alors ? Partant du constat que l’on ne peut plus forcément éviter les intrusions, Symantec veut se concentrer à l’avenir sur les méthodes de détection d’intrusion, d’analyse comportementale et de « mitigation », c’est-à-dire l’atténuation des effets.
En somme, il ne s’agit plus vraiment d’empêcher les cybercriminels de rentrer, mais de sauver les meubles, et cela le plus rapidement possible. Symantec n’est pas la première société de sécurité informatique à faire ce constat d’échec. D’autres éditeurs, comme FireEye ou Juniper Networks, ont déjà pris ce tournant.
Souvenez vous, quand la presse vous parle de « opération anti-terroriste ayant permis l’arrestation de… » que 90% des « complots terroristes » découverts aux USA ces 10 dernières années ont été « suscités » voire fabriqués de toutes pièces par la police… la « Guerre à la terreur » est un juteux marché qui permet de justifier le flicage et la répression contre toutes les formes de dissidence.
[Oumma.com – 03/05/2014]
Quand on peut fabriquer des peurs, qui frappent l’imaginaire, pour mieux les exacerber, pourquoi ne pourrait-on pas créer des terroristes de toutes pièces, histoire de crédibiliser les plus dantesques des scénarios catastrophes ? A ce petit jeu de la manipulation, foncièrement immoral, qui brise des vies sans état d’âme au nom d’une lutte anti-terroriste qui a bon dos, les Etats-Unis font figure d’experts, même si parfois leur mystification leur explose en pleine face, comme c’est le cas de l’affaire du « terroriste du siècle », une afffaire à faire monter l’adrénaline dans les chaumières…
Derrière le portrait effrayant du « terroriste » patibulaire, qui était sur le point de laisser son empreinte sanglante dans l’Histoire en tant que plus grand criminel de tous les temps, se dissimulait Ahmed Abbassi, un malheureux étudiant tunisien de l’Université de Laval, au Canada, odieusement trahi dans sa confiance et piégé par la sombre machination orchestrée par un agent du FBI.
Au portrait-robot affreusement caricatural se sont ajoutées cent heures de conversations enregistrées, entièrement trafiquées, qui ont achevé de convaincre la police américaine de tenir là l’ennemi public n°1, l’Attila des temps modernes… Pour forcer un peu plus le trait, l’agent du FBI avait réussi à faire passer Ahmed Abbassi, ce coupable idéal, à qui il avait promis de réaliser son rêve américain et obtenu un visa en 2013, pour un dangereux meneur qui aurait «radicalisé» Chiheb Esseghaier, un autre étudiant tunisien, arrêté à Montréal en avril 2013, au motif qu’il aurait planifié le déraillement d’ un train de VIA Rail entre Toronto et New York.
«Ils ont basé leurs affaires sur rien! Mon frère voulait venir s’installer avec sa femme à Québec pour étudier et faire sa vie. Les gens doivent savoir qu’il n’a jamais été impliqué dans quoi que ce soit d’illégal», avait alors dénoncé sa soeur, comme le rapporte le site Kapitalis. Interpellé le 22 avril, Ahmed Abbassi, s’est retrouvé pris dans une véritable souricière, accusé de terrorisme, de préparation d’actes terroristes, et de vouloir anéantir 100 000 personnes, avant d’être jeté en prison où il était menacé de croupir pendant 50 ans.
Depuis mardi dernier, date de sa comparution devant la Cour Fédérale, cette perspective cauchemardesque semble n’être plus qu’un mauvais souvenir, grâce à la plaidoirie imparable de son avocate Sabrina Shroff, qui a su démonter le mécanisme bien huilé d’un complot ourdi par un agent du FBI, réhabilitant l’honneur d’un homme et le sauvant in extremis de l’enfer.
Pour recouvrer la liberté, Ahmed Abbassi devra cependant plaider coupable mais uniquement pour la falsification d’une déclaration en vue d’obtenir une carte verte et un visa de travail. Un aveu qui le condamnera peut-être à une courte peine de prison, tout au plus six mois, puis il tentera de reprendre le cours normal de son existence, là où il l’avait laissée, avant de voir ce piège terrifiant se refermer sur lui. Le « terroriste du siècle » était un leurre grossier, mais la réalité du drame vécu par Ahmed Abbassi a dépassé la fiction…
La CIA et la Pentagone ont lourdement investi dans Hollywood pour défendeur la thèse que la torture permet de sauver des vies (cf. la participation logistique et financière à des séries comme « 24 heures » ou « Homeland »)… le rapport du Sénat confirme ce que nous disions depuis plus de 10 ans : la torture est contre-productive
[Iris Deroeux – Mediapart – 04/05/2014]
Le rapport fait près de 6 300 pages. S’il était rendu public, il constituerait certainement l’argumentaire le plus complet et le plus accablant contre les méthodes d’emprisonnement et d’interrogatoire de la CIA, dans les prisons secrètes mises en place sous l’administration Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Certaines de ses conclusions ont déjà fuité : les méthodes dites « d’interrogatoires renforcés », assimilées à de la torture, ont été plus systématiques et plus violentes que cela n’avait été précédemment exposé ; elles se sont avérées inutiles pour collecter des renseignements, notamment lors de la traque d’Oussama Ben Laden ; et la CIA a menti pour en justifier l’usage.
De telles conclusions ne laissent personne indifférent à Washington, encore moins à la CIA. Depuis 2009 – date à laquelle la commission du renseignement du Sénat a entrepris ce travail monumental –, l’agence du renseignement s’oppose à la rédaction d’un tel document. L’agence et la commission sont de fait entrées dans une bataille qui occupe pour le moment bien plus l’espace médiatique que le contenu du rapport.
John Brennan, l’actuel directeur et vétéran de la CIA, l’a déjà présenté comme « truffé d’erreurs factuelles ». Il accuse en outre la commission d’être allée fouiller dans des dossiers censés rester confidentiels. La présidente de la commission du Sénat, la démocrate Dianne Feinstein, réfute et accuse à son tour la CIA de faits graves : l’agence se serait introduite dans les ordinateurs des assistants parlementaires chargés du rapport pour y faire disparaître des documents compromettants. L’affaire est désormais entre les mains du département de la Justice.
Mais cette guerre larvée ne devrait pas empêcher le public d’avoir un aperçu du rapport, dans le mois à venir. La majorité des quinze élus siégeant à la commission du renseignement du Sénat a en effet voté le mois dernier en faveur de sa déclassification partielle. Un résumé de quelque 400 pages doit ainsi être publié.
Reste à voir ce que ce résumé contiendra vraiment : il appartient ces jours-ci à Barack Obama de valider la déclassification de ces « morceaux choisis », et de les confier éventuellement à la CIA pour une relecture. Dianne Feinstein s’est de nouveau exprimée pour demander à Obama de ne pas confier le résumé à l’agence, auquel cas le public risquerait d’avoir droit à une version expurgée. (suite…)
[Rafaele Morgantini – Traduit pour Investig’Action par Mounia Cher – 03/05/2014 ]
« Aujourd’hui, il n’y a aucun espoir de changement au sein du système politique israélien. Ce système va tout simplement devenir de plus en plus de droite, et sera de moins en moins disposé à changer les politiques unilatérales d’Israël. » Et en même temps, le célèbre analyste israélien souligne que la résistance palestinienne et la campagne de boycott BDS font réfléchir les Israéliens et pourraient changer la donne.
Raffaele Morgantini : Nous avons suivi les dernières élections israéliennes et nous avons été surpris de voir qu’il n’y avait pas de réelles discussions sur la Palestine, il s’agissait essentiellement de questions internes. Puis, après les élections, Netanyahu a fait une déclaration concernant l’extension des colonies. Que pensez-vous de cela ?
Ilan Pappé : Votre remarque est juste. Les électeurs israéliens pensent que le problème de la Cisjordanie a été résolu, donc ils pensent qu’il n’est ni nécessaire d’en parler, ni d’y trouver les solutions. Vous ne proposez une solution comme argument pour une élection que lorsque vous pensez qu’il y a un problème, ils pensent ne pas en avoir dans ce cas précis. Ils pensent que ce que nous avons est bon pour les Palestiniens et pour les Israéliens. Ils pensent que le monde cherche bêtement à créer un problème qui n’existe pas, et essaie d’être impliqué là où il n’y a pas besoin d’être. Ils pensent que, même s’il y a encore des missiles qui arrivent de Gaza, Israël a une armée forte qui répondra à cela. Donc, si vous discutez avec les Israéliens dans le métro, ils vous diront qu’il n’y a pas de problème entre Israël et la Palestine.
La seule chose qui fait penser les Israéliens à la Palestine c’est quand la campagne de boycott est un succès, comme ce qui s’est passé récemment avec Stephen Hawking. Savez-vous quel est le problème ? 95 % des Israéliens ne veulent même pas aller en Cisjordanie, afin de ne pas savoir ce qui se passe réellement. Ou bien ils ne sont informés de ce qui se passe que par leurs enfants qui servent comme soldats. Mais leurs enfants ne leur parlent pas des checkpoints, les arrestations à domicile et toutes les autres horribles choses. Les Israéliens pourraient savoir s’ils le voulaient- ils ont internet – mais ils ne veulent pas. Par exemple, à Tivon, mon quartier, tout le monde vote pour la gauche, mais si vous leur demandez s’ils ont déjà vu un checkpoint ou le mur de l’apartheid, ou si l’un d’entre eux veut aller en Cisjordanie pour voir ce que les soldats et colons font, ils refuseront. Ils vous diront que ce n’est pas leur problème. Ils ont d’autres problèmes – niveau de vie, les prix des maisons, la nouvelle voiture, la scolarité de leurs enfants, etc.
Yair Lapid, à la tête du ministère des Finances du nouveau gouvernement de coalition, a déclaré le 20 mai qu’Israël ne va pas arrêter la colonisation de la Cisjordanie ni les subventions des colonies illégales, qui en fait non seulement continueront mais vont augmenter. Pensez-vous que le moindre changement de partis au pouvoir pourrait vraiment avoir un impact sur cette situation ?
Non, nous n’avons pas eu de parti ou un chef différent des autres, y compris Rabin, qui est devenu un héros après son assassinat. Les Israéliens comme Lapid sont toujours occupés à exécuter des politiques pour que la terre n’ait pas de Palestiniens – et en ce sens Lapid est juste en train de continuer ce que tout le monde faisait avant lui. Le problème qu’ils ont n’est pas d’ordre technique – ils savent comment le faire, ils ont un scénario. Ils ne construisent pas de nouvelles colonies, mais ils permettent la croissance naturelle des colonies actuelles, alors que les Palestiniens ne sont pas autorisés à la croissance naturelle. Donc ils disent qu’ils ne construisent pas une nouvelle colonie mais ont besoin d’en construire une autre car la population a augmenté. Ainsi, vous pouvez voir à travers ça qu’ils n’ont pas de problème technique, c’est juste qu’ils maintiennent ce dialogue amusant avec le reste du monde : « Vous savez que nous colonisons, vous savez que nous commettons un nettoyage ethnique des Palestiniens, vous savez que nous les gardons en prison mais tout de même nous jouons à ce jeu où nous parlons d’un processus de paix « .
[Rafaele Morgantini – Traduit pour Investig’Action par Mounia Cher – 24/04/2014 ]
Ilan Pappe est un universitaire et activiste israélien. Il est actuellement professeur à l’université d’Exeter (Royaume-Uni) et réputé pour être parmi les “nouveaux historiens” israéliens – qui ont réécrit le récit sioniste sur la situation palestinienne et israélienne. Il a publiquement dénoncé la politique israélienne de nettoyage ethnique de la Palestine et a condamné l’occupation israélienne et son régime d’apartheid. Il a également soutenu la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), appelant la communauté internationale à agir contre la politique sioniste d’Israel. Un membre d’Investig’Action, durant un séjour en Palestine, a eu l’occasion de discuter avec le professeur Pappe, donnant une interview en trois parties.
Raffaele Morgantini : Dans votre livre “Le nettoyage ethnique de la Palestine” (2006) et dans vos différents discours, vous avez déclaré que la politique d’Israël en Palestine pourrait être qualifiée de politique de nettoyage ethnique. Est-ce que cette stratégie a changé maintenant ou le nettoyage ethnique continue-il ? Si oui, comment continue-il ?
Ilan Pappe : Avant de choisir le titre de mon livre “le nettoyage ethnique de la Palestine”, j’ai beaucoup réfléchi, car je connaissais les implications. J’ai réalisé que pour bon nombre de personnes cela serait trop radical. Je me souviens même que mon éditeur avait des réserves sur ça. Mais après vérification sur le site du Département d’Etat américain concernant le nettoyage ethnique et la définition de ce que c’est qu’un nettoyage ethnique, cela correspondait tout à fait à ce qui s’est toujours passé en Palestine. La description ne décrit pas seulement un acte d’expulsion mais aussi ses implications légales, qui sont dans le cas présent, un crime contre l’humanité. Il est dit clairement que le seul moyen de réparer un nettoyage ethnique est de demander au peuple expulsé s’il veut retourner à ses terres ou pas.
Concernant la seconde partie de votre question, si ce nettoyage ethnique continue ou pas… Oui, je pense qu’il continue de façon différente, mais cela continue. Cependant, l’idéologie et la stratégie sionistes n’ont pas changé depuis leurs débuts. L’idée était que « nous voulons créer un état juif en Palestine mais aussi une démocratie juive ». Les sionistes ont donc besoin d’avoir sans cesse une majorité juive. Cependant vous pouvez le faire en important des émigrants juifs en Palestine, mais cela n’a pas marché, les juifs restaient une minorité. Ils espéraient que les palestiniens allaient pour certaines raisons tout simplement partir, mais ca ne s’est pas produit. Alors, le nettoyage ethnique était la seule véritable solution du point de vue sioniste, pas seulement pour avoir le contrôle sur toute la Palestine, mais aussi pour avoir une démocratie juive même avec une toute petite minorité. En 1948 ils (les leaders sionistes) pensaient avoir une unique occasion historique de régler le problème d’être une minorité dans une terre où ils voulaient être la majorité.
Le nettoyage ethnique est une immense et massive opération, qui généralement se produit en temps de guerre, par conséquent vous ne savez pas toujours comment l’arrêter. A la fin de 1948 ils (les leaders sionistes) avaient 80% des terres qu’ils convoitaient (Israël sans la Cisjordanie et la bande de Gaza), et les Juifs y représentaient 85% de la population, avec une petite minorité que nous appelons aujourd’hui les Palestiniens de 48. Ils n’ont pas expulsés ces Palestiniens, mais leur ont imposé leurs propres règles militaires. Ce qui selon moi est un autre genre de nettoyage ethnique. Vous ne vous débarrassez pas d’eux mais faites en sorte qu’ils quittent leurs maisons, vous ne leurs permettez pas de circuler librement, vous ne leur donnez pas leurs droits fondamentaux. Dans ce cas, ce n’est pas une dépossession en les déracinant mais plutôt en les faisant prisonniers, étrangers sur leur propre terre. En 1967, l’Apartheid territorial en Israël s’est propagé. A ce moment-là, ils voulaient le reste de la terre de la Palestine historique. Ils y sont parvenus avec la guerre des Six jours. Ensuite, ils ont fait quelque chose d’absurde de leur propre volonté. En 1948, ils ont expulsé environ 1 million de Palestiniens, et en 1967 ils ont intégrés environ 1 million et demi de Palestiniens (ce qui vivaient en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza). Encore une fois, ils avaient un problème avec la démocratie de la majorité juive. Les Palestiniens sont devenus une nouvelle fois une menace démographique. (suite…)
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