… ou bien tout simplement grosse connerie, écrire ce que le gouvernement veut entendre…  Comme disait Chomsky : « les guerres commencent parce que les politiques racontent des mensonges aux journalistes et ensuite il croient ce qu’ils lisent dans les journaux »

« Preuves » françaises: erreur ou falsification?

[Frank Bulinge – CERAD – 08/09/2013]

Après la publication de la synthèse nationale de renseignement présentée comme une « preuve » de la responsabilité du régime syrienne dans l’attaque au gaz sarin à Damas le 21 août, la question se pose : qui a rédigé cette synthèse ?

Pour Etienne Pellot (Espritcorsaire.com) c’est le SGDSN qui en est l’auteur, tandis que pour Eric Dénécé (TV5.org) elle émane directement du cabinet du Premier ministre qui aurait occulté des données contradictoires, ne conservant que les éléments à charge. Il s’agit là d’une grave accusation dans la mesure où elle avance la possibilité d’une manipulation/instrumentalisation au niveau de  l’exécutif de données émanant de services de renseignement. Ce scénario, semblable à celui de 2003 aux Etats-Unis, constituerait, en France, un délit de forfaiture.

Il y a donc lieu d’être prudent et de ne pas accuser trop vite et, pour le coup, sans preuve. Je propose d’explorer deux hypothèses, celle d’une falsification de haut niveau et celle d’une erreur méthodologique.

Hypothèse A : la falsification politique

Dans ce scénario défendu par Eric Dénécé, la synthèse pourrait avoir été élaborée par le cabinet du Premier ministre lui-même à des fins d’instrumentalisation politique (« Ils n’ont retenu que ce qui les interroge pour influencer l’opinion et les parlementaires« ). On entre ici dans la théorie du complot, au sens où cette synthèse relèverait d’une manipulation visant à arranger la réalité dans le sens de la stratégie voulue par le gouvernement.

La manipulation/instrumentalisation de cette note par le cabinet du Premier ministre relèverait dès lors de la forfaiture, acte dont la gravité appelle une certaine prudence, notamment parce que cette hypothèse colle difficilement avec l’image que renvoie l’exécutif. Il est, en effet, plus généralement taxé, tant par la presse que par ses détracteurs, d’irrésolution, d’incompétence et de naïveté que de machiavélisme. Comme on a pu le constater dans l’affaire malienne, François Hollande prend des décisions plutôt tardives et en réaction à des événements graves au regard de preuves sérieuses. De fait, la présentation des « preuves » aux parlementaires par le Premier ministre dénote plutôt un excès de confiance dans la pertinence et la fiabilité de cette synthèse. Bien que l’on ne puisse jamais totalement exclure une possible « trahison des clercs » au niveau de l’exécutif, le scénario de Dénécé n’est pas probant. 

Hypothèse B : l’erreur collective

Le SGDSN est un service du Premier ministre, chargé d’animer les groupes interministériels d’analyse et de synthèse pour le coordonnateur national du renseignement. A ce titre, il a toute légitimité pour élaborer les synthèses nationales à partir des renseignements théoriquement fournis par les services (DGSE, DRM, DPSD, DCRI, TRACFIN, DNRED). Je précise « théoriquement » car il est évident que ces services, à l’exception de la DRM, se gardent de livrer des renseignements susceptibles de compromettre leurs sources. Précisions également que le SGDSN n’est pas un service centralisateur du renseignement. Au quotidien, les services assurent eux-mêmes la rédaction de notes de synthèses qu’ils diffusent directement à l’exécutif.

Le SGDSN peut-il avoir rédigé cette synthèse en manipulant volontairement les données ?Il semble difficile de porter une telle accusation. Toutefois, il existe des conditions organisationnelles susceptibles de conduire à une manipulation « non intentionnellement politique », comme je l’ai montré dans mon ouvrage sur le renseignement. Ces manipulations peuvent résulter d’une autocensure, comme on en trouve dans la presse. Elles consistent à rejeter volontairement ou non les données susceptibles de contredire la position des dirigeants. Généralement, cette censure se pratique au cours de la remontée de la note à travers les échelons hiérarchiques. Elle trouve par exemple son origine dans la conviction d’un supérieur qui accorde aveuglément crédit à ses propres intuitions et/ou à la position de l’exécutif, ou dans sa crainte d’avoir raison contre le « politique » au risque de le contrarier.

Outre ce biais organisationnel, on ne peut exclure la forte probabilité d’une erreur de nature méthodologique, comme je l’ai montré dans un billet précédent. Rédigée à la hâte sur la base des données disponibles dans un contexte brûlant, elle colle à la croyance politico-médiatique du moment, le rédacteur ayant pu être influencé par des facteurs sociaux (fatigue, stress, pression hiérarchique, politique ou médiatique). La hiérarchie transmet sans esprit critique, trop heureuse d’aller dans le sens du gouvernement et d’être à l’origine de la « preuve » souhaitée. De son côté, l’exécutif absorbe la note sans discuter en raison du climat de confiance qui s’est instauré depuis un an avec la communauté du renseignement. Dès lors, la note entre dans la machine médiatique gouvernementale sans possibilité de déjugement…

En conclusion, je ne crois pas à la théorie du complot. Comme bien souvent, le soupçon conspirationniste naît de l’incapacité à concevoir l’erreur humaine et organisationnelle, jugée trop triviale à ce niveau de responsabilités. C’est un tort. De fait, je privilégierais l’hypothèse d’une erreur collective (SGDSN et exécutif) liée d’une part à l’opportunisme et l’absence de barrières critiques indispensables à l’élaboration des synthèses de renseignement, et d’autre part, à une certaine faiblesse dans le management de l’information et de la communication gouvernementale, qui s’expliquerait en partie par la méthode de gouvernance de François Hollande, fondée sur le présupposé de la confiance et de l’intelligence collective. Face aux influenceurs de tous poils, à une actualité particulièrement difficile dans un contexte de guerre de l’information, à des collaborateurs et/ou des services trop zélés, cette posture vertueuse présente des vulnérabilités susceptibles d’entraîner des erreurs qui, à ce niveau, peuvent prendre une dimension historique. 

http://cerad.canalblog.com/archives/2013/09/08/27976410.html