La reprise de l’article de Yves Eudes sur le service AKA-AKI nous a valu un paquet de commentaires et courriers. Une bonne partie d’entre eux disent en substance : « Ne soyez pas paranos, ce service est cool, on s’en fout d’être pistés, ça craint rien… ». Profitant d’une rare occasion où la majorité des membres du réseau L&I était rassemblée autour d’un excellent cassoulet, nous avons pondu la réponse suivante :

Dernier commentaire en date, déposé ce matin par « BigBrother » :

Mais…
je ne saisi pas le malaise… certains l’ont déjà signalé mais j’ai personnellement cette appli sur mon téléphone parce que je l’ai voulu, si je ne l’avais pas installé je ne l’aurais pas…
De plus il n’y a qu’un pseudo, éventuellement un âge et éventuellement encore une photo mais rien de personnel (pas de lieu de travail pas de domicile, pas d' »historique de déplacement », pas de nom de famille, pas de numéro de téléphone)…
En plus le bluetooth n’est pas utilisé par cette appli elle utilise uniquement les coordonnées GPS du téléphone ou de la BTS (l’antenne du reseau 3g).
Je pense qu’il faudrait tester les applis avant de crier au loup.
A mon sens il faut vraiment avoir des choses à ce reprocher pour avoir peur de ce genre de chose…
Une société commerciale s’interresse à mon historique web? Et alors? S’il n’ont que ça à faire.
Quelqu’un (on ne sait qui) serait suffisement désoeuvré pour s’interresser à mes déplacements et jubile parce qu’il sait que je suis allé sur les champs elysées entre midi et deux? Super et alors, s’il cette personne n’a que ça a faire…
Vous pensez sincerement qu’il y a une société secrète composée d’une armée de nolife derrière des écrans qui s’interresse à nos vies?

« – Oh regarde j’ai kikou92 qui va acheter du pain.
– Bien joué Crucho note-le ça m’en fait 54422 aujourd’hui.
– Pichar! j’en ai un qui retourne au supermarché, c’est « bebe75″ il y est déjà allé ce matin
– Génial j’le note c’est le 521e aujourd’hui qui oubli un truc en faisant ces courses »

C’est vraiment se donner de l’importance 🙂

Je suis d’accord avec vous pour que les données privée des fichiers administratifs soient contrôlées (EDVIGE etc) parce que les données sont administrative et policières… mais là… AKA AKI… il faut se destresser.

Keep Cool

Réponse : Oui, on peut aborder la question comme ça, en se disant « Ne soyons pas paranos », ou bien (comme le disaient nos mamans) « Si on a rien à se reprocher… ».

Le seul problème – et c’est là la clé de tout le débat sur la protection de la vie privée – c’est que on a toujours quelque chose à se reprocher et que ce quelque chose peut être utilisé contre vous, quand vous vous y attendez le moins, de manière parfois disproportionnée et sans que vous ayez la moindre occasion de vous justifier.

C’était déjà le débat avec les photos sur MySpace qui se retrouvaient dans les entretiens d’embauche des RH (https://libertesinternets.wordpress.com/2009/04/03/nos-vies-sur-internet-a-perpete/), les mails « pas sérieux » qui sont versés au dossier d’un salarié pour un futur chantage au licenciement  (https://libertesinternets.wordpress.com/2009/08/17/un-tiers-des-responsables-informatiques-espionnent-leur-collegues/) , ou encore l’application des hollandais qui piste les téléphones portables des hommes politiques et des people pour voir qui se ballade dans le quartier des putes (cf: https://libertesinternets.wordpress.com/2009/04/16/encore-pire-que-aka-aki-le-flicage-sauvage-par-bluetooth/).

Compte tenu du niveau trash de la presse caniveau et des méthodes de plus en plus dégueu de la politique (regarde le niveau de la campagne des Républicains aux USA), tu vois tout ce qu’on peut tirer de ce genre d’infos. « Le député Machin a été repéré dans une rue où il y a des sex-shops – expliquez vous Monsieur Machin !« .

On peut même aller chercher des exemples plus sinistres: si tu as un nom de bougnoule et que ton téléphone portable te flique comme étant allé dans un pays « suspect », tu peux te retrouver en enfer quand tu rentres chez toi : http://fr.wikipedia.org/wiki/Murat_Kurnaz.

Et si tu choisis un mode de vie alternatif et que tu as le malheur de faire l’amour au mauvais endroit avec ta copine, le flicage de ta vie privée t’enverra en prison pour six mois (https://libertesinternets.wordpress.com/2009/05/29/tarnac-enquete-sur-un-fiasco-qui-en-dit-long-sur-la-france-de-sarkozy/) .

Ou encore le débat avec Google Street View qui ne floutait pas les visages des passants, causant par exemple le licenciement d’un coursier à vélo, surpris entrain de pisser contre un arbre. (http://maps.google.com/maps?f=q&hl=en&q=San+Bruno,+California,+United+States&ie=UTF8&ll=37.625041,-122.482667&spn=0.022331,0.038109&z=15&om=1&layer=c&cbll=37.617952,-122.485275&cbp=1,228.978817071945,0.56251897101312,3)

Avec les données numériques, ce n’est pas compliqué de compiler des milliards de données de déplacements individuels et d’en établir des profils. Les programmes qui font cela existent et sont en usage depuis des années.

Le profil commercial est le Saint Graal de toute l’industrie publicitaire. Tu es bien naif(ve) si tu crois que « les gens ont mieux à faire que… » – non, justement, ils dépensent des millions pour savoir ce que tu fais, ce que tu achètes, où tu vas, combien de temps tu t’arrêtes devant une vitrine… etc. etc. C’est le fluide vital de toute l’industrie du commerce.

Et une fois que tu es « profilé », qu’on sait ce que tu achètes, ce que tu regardes, ce que tu lis, sur quoi tu bandes (ou mouilles), dans quels endroits tu vas, où tu te trouves en ce moment… quand toute cette information est rassemblée et ordonnée par des entreprises commerciales comme Google ou Clickpoint et bien où est ta vie privée ? Et surtout, qui va la contrôler ? Et surtout de quel droit ces entreprises archivent-elles ces données, sans aucun contrôle du législateur ? Facebook conserve les archives de tes données, même si tu as fermé ton compte. Idem pour Google.

Et tu crois que le simple fait d’anonymiser les données ne permettra pas de te retrouver ? Va donc demander à « Marc L. » ce qu’il en pense (https://libertesinternets.wordpress.com/2009/04/16/3909/).

Qui empêchera ta compagnie d’assurance d’aller acheter ces données chez Clickpoint pour te faire payer des primes plus élevées (parce que ton profil indique que tu achètes des clopes et ne fais pas assez de sport) – voire te refuser un remboursement de soins parce que, sur ton profil MySpace ou Facebook, on te voit entrain de faire du vélo sans casque ? Ce n’est pas de la science-fiction, c’est déjà arrivé.

Et qui va empêcher un avocat de divorce ou bien l’avocat de ton employeur d’exiger de consulter ton Historique Web sur Google ou bien ton historique de déplacements sur Aka-Aki afin de prouver que tu te masturbes tous les jours sur Youporn ou bien que tu n’étais pas au boulot alors que tu étais censé y être (c’est ce qui est arrivé à un commercial à Paris, pisté via son téléphone portable d’entreprise. Il avait fait un détour hors de son secteur pour faire une course personnelle, lors de ses heures de boulot).

On te dira « Si vous êtes innocent, vous n’avez rien à cacher, alors donnez nous votre mot de passe pour consulter votre Historique Web et savoir ainsi qui vous êtes et si vous correspondez bien aux valeurs de notre Entreprise« . Si tu dis non, tu peux être certain que t’auras pas le job.
C’est déjà ce que fait la ville de Bozeman (https://libertesinternets.wordpress.com/2009/06/21/tu-veux-un-job-chez-nous-donne-nous-ton-mot-de-passe-facebook-twitter-gmail/)

Tu penses que nous sommes paranos ?

Peut-être, mais avant de diffuser des milliards d’informations privées sur nous, même si « nous n’avons rien à nous reprocher », on devrait au moins avoir la possibilité d’en débattre – voire de pouvoir avoir le moyen de contrôler et gérer nos propres données. Or, à ce jour, on a rarement vu les gouvernements (avec leurs faibles moyens, demande un peu à Alex Türk de combien de budget dispose la CNIL) aller faire la loi chez les grosses multinationales comme Google, Yahoo, FaceBook ou ClickPoint…

Voilà, nous espérons t’avoir convaincu que – en tant que consommateur – tu as une importance pour ces gens là, et que tes données ne t’appartiennent plus. Si cela ne te dérange pas, alors c’est ton affaire. Mais le droit le plus élémentaire c’est celui d’avoir une vie privée. Et ce droit, nous avons à coeur de le défendre…. sans nous faire moquer par des gens qui nous traitent de paranos et conspirationistes à cause de cela.

Amicalement

L’équipe de veilleurs d’info de Libertés-Internets