[Gregor Seither – IES News Service – 20/02/2008]

Aux Etats-Unis, les céréaliers ont la trique. A la bourse du blé de Minneapolis (Minneapolis Grain Exchange), cette semaine, le prix du bushel a frôlé les 20 US$ – (19,8 US$) soit trois fois plus que le record précédent de 1996.

Si le vendeurs jubilent et se frottent les mains, pour les experts agroalimentaires, ce prix pharamineux est un signal : la production n’arrive plus à suivre la demande et les marchés répercutent la peur de manquer. La crainte de la pénurie entraîne des hausses de prix insoutenables pour les consommateurs (. . .)

Ces trente dernières années, aux Etats-Unis mais aussi en Europe, le principal problème de l’agriculture a plutôt été le surplus que la pénurie… avec pour conséquence des prix agricoles bien trop bas pour être rentables. Si les agriculteurs s’en plaignaient amèrement, les consommateurs bénéficiaient de l’abondance de céréales et des protéines bon marché qui en découlait.

Mais ce qui s’est passé cette semaine à Minneapolis préfigure une situation radicalement différente. Comme l’explique Mike Usset, ancien trader céréalier :

Le prix du blé est un indicateur qui nous dit à quel point nous sommes proches du point de basculement dans l’industrie alimentaire. Toutes les matières agricoles sur le marché réclament à corps et à cri plus de surface de culture. Le mais réclame plus de terres, le soja pousse les agriculteurs du Sud a couper encore plus de forêts pour étendre la monoculture, idem pour le blé dur, le malt, l’orge, le tournesol, le colza… partout on nous dit qu’il faut produire plus, étendre les cultures…

La demande est énorme parce que les prix sont élevés, et les prix sont élevés parce que la production ne suit pas.

Pour Hendrick Blauman, du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) :

« Cette pression fait grimper les prix. Tous les prix. Du steak au carton d’œuf, du pain à la tortilla, du riz au nouilles, des petits gateaux au litre de lait… Et à moins d’être un petit agriculteur qui fait pousser ses propres aliments, vous ne pourrez échapper à l’augmentation de votre facture alimentaire. Pour les deux milliards d’êtres humains sur terre qui vivent dans la pauvreté, c’est une catastrophe annonciatrice de famines gigantesques. « 

L’une des causes de cette crise alimentaire à venir est un légume que l’on retrouve dans des milliers d’aliments à travers la planète : le maïs. Et ironiquement, le prix du maïs explose à un moment où sa production aux Etats-Unis atteint des sommets jamais vus. Ce qui a changé c’est que, désormais, le maïs n’est plus considéré comme un aliment mais comme un carburant. Paul Johnson de l’organisation Via Campesina souligne l’absurdité du système :

En détournant le maïs de sa fonction alimentaire, on crée un effet domino qui influe sur les prix alimentaires. Cela commence avec l’éthanol qui est obtenu à partir du maïs.

Les « faux écologistes » s’enthousiasment pour ce « biocarburant » (que les agriculteurs du Sud préfèrent appeler « necro-carburant ») car ils espèrent réduire ainsi la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis du pétrole étranger… et lutter contre l’effet de serre et la pollution à travers un carburant « propre » ou plutôt, moins polluant.

Mais la réalité est que, pour compenser ne serais-ce que 50% de notre consommation pétrolière actuelle, il faudrait mettre en culture pour produire de l’éthanol, 150% de la surface agricole mondiale. Il ne resterait plus de place pour l’alimentation.

Sans parler du fait que la déforestation massive pratiquée dans des pays comme le Brésil ou l’Indonésie pour produire du soja ou de l’huile de palme renforce encore la production de CO2. Les bio-necro-carburants sont une fausse solution. »

Pour Kurt Klein, professeur d’agroéconomie à l’Université de Toronto : « les Etats-Unis consacrent plus de maïs à la fabrication d’éthanol que la production annuelle de maïs du Canada. C’est énorme. »

Et cela ne risque pas de s’arrêter là. En 2000, la production mondiale d’éthanol était de 20 milliards de litres. En 2007, la production mondiale atteint 60 milliards de litres. Rien qu’au mois de janvier 2008, les Etats-Unis ont produit six milliards de litres d’éthanol, explique Kurt Klein. (. . . )

Les conséquences pour la production alimentaire mondiale sont immenses. La quantité de maïs nécessaire à la production de 75 litres d’éthanol (soit l’équivalent d’un plein de réservoir) suffirait à nourrir une personne avec 2 000 calories par jour, pendant une année entière. »

A Minneapolis, la hausse record du prix du blé est le signe annonciateur des famines du futur…